De Profundis

Les quatre protagonistes sortirent de la bibliothèque d’un pas pressé. Les deux spectateurs de Poulard les suivirent en courant jusqu’à la sortie de l’école. Dans la rue qui donnait sur un boulevard moldu où personne ne semblait faire attention à eux, Liam consulta une seconde fois son téléphone portable qui venait de sonner. Il ne répondit pas à l’appel mais le geste suscita la curiosité et l’exaspération de Seth qui craqua :

- Qui t’appelle comme ça ? s’exclama-t-il en freinant pour laisser passer quelques voitures devant eux qui s’apprêtaient à traverser la rue pour suivre Liam.

L’aîné ne répondit pas directement :

- Un ami. Une fois à l’abri, je vous expliquerai. On doit passer chez vous prendre quelques affaires.
- Liam... supplia Japhet confiante, il faut les laisser...
- Les laisser quoi ?! grogna Seth destabilisé de ne rien maîtriser de l’affaire.

Une fois encore sa question tomba aux oubliettes. Ils finirent par traverser, toujours suivit des deux élèves.

- J’aimerai qu’on ait le scénario à l’avance, je sais pas pourquoi je sens arriver une catastrophe. Pas toi ?
- Si... une question d’habitude. Et... et ton odeur a changé mais je ne sais pas en quoi.

Le petit groupe arriva devant une maison à la toiture boisée et aux murs de pierre. Seth s’y engagea le premier pour ouvrir et dès que sa fratrie et sa femme furent entrés, courroucé, il referma immédiatement derrière eux, laissant sur le pas de la porte leurs spectateurs temporels.

Le jeune vampire tendit sa main devant lui. Pour avoir essayé dans chacune des dimensions qu’ils avaient visité, il savait que les lois sensorielles n’étaient pas les mêmes. Si le but de cette aventure était de suivre les pérégrinations de leurs doubles, ils ne pouvaient pas avoir été laissés derrière la porte sans pouvoir rien y faire. La main tendue devant lui disparut dans le bois de l’entrée. Il se tourna en souriant vers Eden et lui prit la main pour l’entraîner avec lui à traverser la paroi, tels des fantômes.

A l’intérieur, les deux frères s’affrontaient du regard. Seth se regardait tenir tête à Liam pour la énième fois. Il espérait au plus profond ne plus jamais le voir souffrir ou le voir les trahir. Comment pourrait-il de nouveau regarder Liam en face dans les couloirs de Poudlard après tout cela ? Je t’en prie, pensait-il, ne me déçois-pas...

- Liam !
- Une faction du Ministère est à votre recherche depuis que vous avez disparu. Le père d’Eden la dirige, il croit que tu as enlevé et tué sa fille... il pense que tu en as fait un vampire. Ils ne savent pas encore que vous êtes au Canada.
- Et comment tu sais tout ça, Liam ? demanda Eden qui gardait son sang froid malgré son inquiétude. Elle s’était rapprochée de son vampire d’époux.
- J’ai infiltré cette faction afin de toujours savoir ce qu’il s’y passait.
- Comme un agent double, sourit Japhet avec fierté.

- Je ne comprends pas... je ne comprends pas pourquoi ton odeur a changé. Elle n’est pas moins agréable, elle est différente, songeait-il tout haut en dévisageant le double d'Eden qui marchait dans les couloirs de l'école canadienne.

- Pourquoi doit-on partir ?
- Antarès a promis au père d’Eden de retrouver sa fille si lui et sa faction politique rejoignaient ses milices... il doit donner sa réponse aujourd’hui et je crois qu’elle sera positive. Je suis venu dès que j’ai su. D'après Japhet, il faudrait vous séparer pour leur laisser le moins de chances possibles de vous retrouver.

Le Serdaigle regarda Eden avec incompréhension. Qui était Antarès ? Qu’est-ce que c’était que ça encore ? De leur côté, semblant comprendre de quoi il s'agissait, leurs doubles se pressèrent l’un contre l’autre et Seth aperçut un geste de la jeune femme qu’il attribua à son anxiété avant de résoudre enfin le soupçon qui pesait sur cet étrange changement d’odeur : Eden venait de poser la main sur son ventre, le regard plongé dans une intense réflexion. Le geste n'était pas anodin, le jeune Cullen le sentait. L’autre Seth, quant à lui, fixant toujours son grand frère, ne pouvait pas voir le visage de son épouse. Déjà réfléchissait-il au prochain lieu de leur fuite.

Pour détendre l’atmosphère, Japhet se dirigea vers Eden et lui prit la main posée sur son ventre avec délicatesse :

- Laissons-les, je vais t’aider à rassembler des affaires. Quand ces deux là ont à parler, il faut mieux être ailleurs. Et poussant sa belle-sœur vers un escalier qui menait à l’étage, elle entonna avec la même joie : - Je suis sûre que les banques du Connecticut, c’était vous... Vous ne faites vraiment pas les choses à moitié, dis donc ! Tu me racontes ? Il est comment mon frère dans le grand banditisme ?

- En tout cas, la prochaine fois que je m’ennuie en faisant les devoirs, j’espère que tu te rappelleras de ce jour où tu m’as empêché de travailler sérieusement.
- Ca ne me fait pas rire, Eden. Quoi qu’il arrive maintenant, ça ne me fait plus rire... nous n'avons aucune chance...

Les deux frères étaient restés dans le salon. Sans bruit malgré le choc, Seth se laissa tomber dans un canapé.

- Pourquoi tu ne m’as pas dit tout ça avant ?
Liam vint s’asseoir à côté de son frère et malgré tout le soin qu’il mit à l’imiter pour ne provoquer aucun son, le canapé couina. La façon surnaturelle dont le vampire parvenait toujours à se mouvoir sans faire le moindre bruit continuait toujours d’agacer l’aîné.
- Il n’y avait pas lieu. Pendant trois ans vous avez semblé vous débrouiller, j’avais l’œil sur le Ministère, je ne voyais pas à quoi cela aurait servi de vous presser pour rien. Après les banques du Connecticut, les soupçons ont commencé à croître. Ils se sont méfiés mais les accords internationaux leur interdisaient d’appliquer les lois britanniques aux Etats-Unis. Mais dès qu’ils sauront que vous êtes au Canada, un pays allié, rien ne leur sera plus impossible.
- Combien de temps avons-nous ?
- Je ne sais pas... ils peuvent débarquer maintenant comme ils peuvent débarquer dans deux jours.
- Tu cours un risque en venant nous prévenir...
- Je cours un risque à rester les bras croisés... attendre qu’on m’apporte la tête de mon frère sur un pieu. Après ce qu’Eden a fait pour moi à Poudlard, je lui suis redevable. Je ne laisse pas tomber.

Surpris, Seth regarda Eden. Que s’était-il passé à Poudlard ? Les deux jeunes gens ne pouvaient pas poser de questions à leurs doubles. Frustrés, ils devaient attendre que les réponses viennent d’elles mêmes.

- S’il m’arrive quelque chose, Japhet et toi vous devez...
- J’ai promis, coupa Liam pour rassurer son frère. Il faut partir, maintenant.
- Il faut que je te dise aussi, Liam... Eden est...

Trois grands "ploc" rugirent devant la porte d’entrée et s’en suivit immédiatement une explosion qui fit trembler les murs et qui embrasa la porte. Les silhouettes de trois hommes se découpèrent dans la fumée qui se dissipait. Le jeune vampire avait disparu de sa place sur le canapé. Liam s’était levé en brandissant sa baguette devant lui.

- Qu’est-ce que vous faites déjà sur place, Cullen ? demanda le père d’Eden encadré par deux de ses hommes qui le menaçaient de sa baguette.
- Mes informateurs sont plus efficaces qu’Antarès, je voulais lui régler moi-même son compte. On ne tuera pas mon frère sans que je sois là, mentit-il avec conviction.
- Où est-il ?
- Je viens d’arriver... la maison paraît vide.

Eden redescendit les marches de l’escalier. Son visage était pâle et rempli de souffrance. Ses yeux rouges et haineux s’enfoncèrent dans le visage de son père comme des poignards tranchants. Tout doucement, elle leva un bras accusateur vers Schuyler Harris. La jeune femme s’arrêta sur l’avant dernière marche, le bras toujours tendu. Des mots trop forts pour être prononcés semblaient l’étouffer. Japhet ne tarda pas à descendre à son tour. Elle était maintenue les bras dans le dos et la baguette du deuxième sbire de Harris posée sur la gorge, comme Liam sous la coupelle de ce dernier. Dans la main qu’il utilisait pour emprisonner Japhet, le visage impassible, l’homme tenait les deux baguettes de ses captives.

Harris esquissa un petit sourire de victoire.
Seth du présent comprenait ce qu’il s’était passé en haut... il était le seul qui ne revenait pas.

- Et Jackson ? questionna Harris.

Son homme fit un petit non de la tête. Le second ne s’en était pas tiré. Harris ne sembla pas ému.

- Ma fille... reprit Harris à l’attention d’Eden.
- Don’t even dare ! cria-t-elle en baissant enfin son bras. Le mot « fille » ne semblait pas lui convenir.

Elle descendit les deux marches restantes comme une furie et se dirigea droit vers son père qui enfonça un peu plus sa baguette dans le cou de Liam. Eden s’arrêta net. Mais pas Liam. Il infligea un coup de poing dans les côtes du père d’Eden, ramassa la baguette qu’il avait laissé choir sur le sol sous la pression de son agresseur et la pointa directement vers l’homme qui tenait sa sœur :

- Baguettes !!! cria-t-il dans la cohue tandis qu’il pointait l’homme de la sienne.

Liam ne prononça pas le sortilège mais le jet vert qui vint percuter l’homme en plein dans le front et qui le laissa mort ne pouvait pas tromper. Le corps sans vie tomba assis sur une marche, lâcha les deux baguettes aux pieds de Japhet qui put s’en saisir immédiatement. L’homme de Harris s’effondra, tomba en avant et dévala l’escalier jusqu’aux pieds de la seconde Eden qui regarda le corps avec une allégresse macabre que Seth ne lui connaissait pas. Se sentait-elle vengée ?

En regardant silencieusement la scène comme si tout se passait au ralenti, Seth imaginait que Liam savait qu’il n’avait qu’un sortilège pour résoudre la situation. Il l’avait utilisé pour délivrer Japhet qui se trouvait face au salon, avec une vue en plongée imparable pour agir. L’ancien Serpentard sourit à sa sœur de nouveau armée en hochant la tête d’un air entendu puis il offrit le même sourire à Eden. Seth voyait en ce sourire un sourire d’adieu mêlé de gratitude. Un adieu.

- Liiiiaaam ! cria Japhet en regardant derrière lui.

Liam se retourna alors vers Harris qui s’était redressé en se tenant les côtes de la main gauche. Il n’eut pas le temps d’armer de nouveau, le père d’Eden braquait déjà sa baguette sur lui.

Une intense lumière verte jaillit dans le salon. Deux corps tombèrent.

Japhet lâcha sa baguette d'où s'échappait une fumée verdâtre et elle s’élança vers le corps de Liam qu’elle vint étreindre de toutes ses forces. Elle pleurait de gros sanglots qui se mélangeaient à un rire incompréhensible en murmurant "on a réussi, tu as réussi, frérot. Oh Liam..." A côté du corps de Liam gisait seul celui de Harris touché par le sort de Jah.

La douleur de sa soeur fit baisser les yeux à Seth qui se tourna vers son Eden qui ne regardait plus la situation se dérouler devant eux. Il tendit sa main vers son épaule et la pressa gentiment sans parler. Donc, dans cette version du futur, les deux frères mourraient. Seth voulait que la porte de leur retour chez eux, à Poudlard, s’ouvre. Il ne désirait pas en savoir plus. Impossible. C’était le mot qui définissait le mieux son couple avec Eden.

Pourquoi la porte ne s’ouvrait pas ?

Seth regarda autour d’eux. Nulle porte. Il lâcha l’épaule d’Eden et fit un tour dans le salon encombré des lamentations de Japhet qui devenaient de plus en plus insupportables tant elles brisaient le cœur. L’autre Eden ne l’avait pas rejointe. Alors Seth la regarda presque indigné. Son frère venait de donner sa vie pour elle, qu'attendait-elle ? Elle paraissait triste mais dubitative. Comme si elle attendait quelque chose. Elle se tourna vers le corps du deuxième homme de Schuyler étendu sur le sol.

- Japhet... murmura-t-elle gênée de déranger l’apitoiement de sa belle-sœur.

La Serdaigle se releva en séchant ses larmes. Elle se composa un visage souriant que ses yeux démentaient. Elle rejoignit Eden près du corps du deuxième homme et s’agenouilla près de lui :

- Seth, murmura-t-elle. C’est fini.

L’homme mort se releva d’une traite avec une rapidité hors de portée de l’œil humain. Deux secondes plus tard, il était accroupi près du corps de Liam où s’était trouvée Japhet quelque instants auparavant.

Petit à petit, le visage de l’homme se fit vague, ses traits changeaient, son nez s’affina, sa peau blêmit, ses cheveux prenaient une couleur blonde comme les blés et sa barbe rétrécit jusqu’à disparaître. Seth Cullen était à présent agenouillé à côté de son frère qu’il tenait dans ses bras de toutes ses forces. S’il n’eût été mort, Seth l’aurait tué juste avec cette étreinte.

Japhet et Eden s’avancèrent de part et d’autre de Seth et vinrent poser leur main sur chacune des épaules de Seth :

- On n’avait pas d’autres choix, souffla Japhet. Il ne faut pas t’en vouloir... et c’est ce qu’il avait prévu. C’était lui ou moi mais certainement pas vous et... le bébé.

Seth hocha la tête tristement avant de se glacer sur place. Bébé. Il paraissait triste, fier et déçu. Il aurait probablement aimé que sa fratrie l’avertisse de leur plan avant de le mettre à exécution autrement il n’aurait jamais accepté de prendre ce polynectar s’il avait connu l’issue de l’aventure. Il n'aurait jamais dû le dire à Japhet. Leur présence ici à tous les deux avait sans doute été motivée par cette confidence. Japh l'avait-elle répété à Liam ? Toujours est-il que le mot "bébé" lui fit changer encore une fois d'expression. Il s'attendrit. Toujours agenouillé, il lâcha son frère dont il reposa doucement la tête sur le sol avant de se tourner vers Eden dont il entoura la taille de ses deux bras. Il posa la tête contre son vente qu’il baisa à l’endroit où se trouvait l’enfant.

Une porte qui dégueulait une lumière blafarde et argentée s’ouvrit au milieu du salon. Aucun des trois protagonistes ne la voyait. Cette porte était destinée aux deux visiteurs.

Seth ne bougeait pas. Ses yeux écarquillés étaient restés épinglés aux personnages et surtout à sa réplique agenouillée entre son frère mort et sa femme qui portait...

-...Un enfant de moi ? laissa-t-il échapper tout haut. Ton odeur, c’était ça...

Il n'oublierait jamais ce parfum. Celui de la grossesse d'Eden. Il rassemblait toutes les particules odoriférantes présentes pour les mettre à l'abri dans son cerveau et s'en resservir si un jour...

La chose était possible ? se demandait-il. Comment la mort pouvait-elle donner la vie ? Puis, il assimila la naissance éventuelle d'un enfant avec la mort de son frère dont il ne saurait jamais ce qu'Eden avait fait pour lui à Poudlard. Alors le projet serait chose impossible, décida-t-il. Impossible. Ce mot leur allait si bien.

Seth tourna les talons et marcha vers la porte où les attendait la Dame Grise. Seth lui passa devant sans s'adresser à elle. Il ne regarda pas par dessus son épaule pour vérifier qu'Eden le suivait. Il s'enfonça dans le dédale de couloirs et disparut jusqu'au soir où, enfin, il alla parler à Eden à la sortie de la Grande Salle:

- Je veux prendre le risque, dit-il en l'embrassant sur le front. Je veux changer le futur et vivre ce qui est possible de vivre.