[Bal Triathlon - Sambre/Ryffie] Les profs

"Cela n’a pas été trop difficile…" avait pensé Sambre en ressortant du bureau de Mademoiselle Joketier.

Les deux enseignants avaient été présentés pour la première fois quelques jours auparavant quand le professeur Dumbledore annonça son propre départ de Poudlard et l’arrivée de nouveaux professeurs. A la fin de cette réunion, l’organisation d’une soirée de fin d’année pour fêter les diplômés fut prononcée. On conseilla aux nouveaux professeurs de ne pas hésiter à s’y rendre s’il leur en prenait l’envie. Le français appréciait toujours les bals et les fêtes. Il préférait de loin celles passées en jeans avec ses amis mais le problème était celui-ci: nouveau en Angleterre, sans attache et sa famille laissée en France, il ne connaissait personne. Pour se familiariser avec ses collègues et les couloirs de l’école, il lui semblait que cette soirée de fin d’année était une aubaine.

Ce n’était pas au hasard que son attention fut piquée par Ryffie Joketier. Une certaine nostalgie du latinisme et, sans mentir, elle devait avoir le même âge que lui. Il y avait bien mademoiselle Trelawney mais sa façon étrange de s’exprimer déconcerta le futur enseignant qui ne songea même pas à l’éventualité de l’inviter à danser. Les discussions seraient perdues d’avances.

Prenant son courage à deux mains, Sambre alla frapper à la porte du professeur Joketier. Quand le "entrez" retentit, il passa seulement la tête par l’entrebâillement de la porte, sourit, la salua cordialement et proposa d’une façon très simple : "Ca vous dirait de m’accompagner à cette fameuse soirée de fin d’année?" Il obtint un sourire et un hochement de tête, ce qui lui suffit pour refermer doucement la porte.


Une semaine s’était écoulée depuis. Nous étions un soir de juin humide et chaud, un soir d’été festif. Sambre et Ryffie avaient décidé, tout comme le professeur Rogue, de jouer le jeu et de porter des costumes. Le professeur de Botanique avait choisi un costume assez simple qui consistait en un pantalon, une chemise rose, un chapeau et un noeud papillon. C’était ainsi qu’il imaginait le personnage d’Augustin Meaulnes lors de sa soirée au domaine des Sablonnières où il vit Yvonne de Galais pour la première fois. Un grand Meaulnes comme il s’imaginait en marquis et à travers l’imaginaire de Sambre… Sambre y avait mis peu d’effort mais cela l’avait amusé de réunir les pièces du costume.



Il avait attendu Ryffie en bas du grand escalier de marbre du Hall. Elle était descendue gracieusement et il se félicita d’avoir une cavalière aussi pimpante. Il l’accueillit en lui tendant son bras enjôleur et se mit marcher en direction de la salle de divertissements où se passaient les festivités.

- Mademoiselle Joketier, dit-il en prononçant ‘mademoiselle’ en français, vous êtes ravissante. Je suis très heureux que vous n’ayez pas cédé à la folie du panda…

La salle de divertissement était remplie d’élèves de toutes les années. Sambre, qui était d’ordinaire le plus jeune de son cercle d’amis ou de son cercle professionnel, se sentit soudainement aussi vétuste que les lustres de cette pièce gigantesque. Il toussota artificiellement pour faire mine de se donner de l’allant. Resserrant le bras de Ryffie contre son flanc, et posant sa main sur la sienne avant d’entrer dans la cage aux lions, une bouffée de chaleur le prit, il allait devoir affronter pour la première fois les regards de ses futurs élèves. Il marcha vers le plus gros de la foule d’un pas assuré, harmonieux et droit. Au bout de quelques minutes, les yeux des étudiants se tournèrent invariablement vers les deux professeurs. Certains groupent murmuraient en les dévisageant avec amusement. Sambre affecta de ne pas le voir, bien que les regards soient particulièrement peu discrets.

"Ils pourraient avoir la politesse de faire semblant de ne pas nous avoir vu…" pensa-t-il caustiquement.

Il était très difficile de faire abstraction de ces dizaines de paires de yeux posés sur eux. Bon nombre de ces regards, voire la totalité d’entre eux, ne savaient pas encore qu’il était professeur.

"Nom d'une fiente! Ils ne savent pas…"

Le trentenaire eut un flash soudain. Il comprenait désormais ce que voyaient les élèves et ce qu’ils devaient se murmurer en gloussant. Réconforté et amusé, il partagea sa pensée avec sa collègue:

- Je crois qu’ils pensent que je suis votre compagnon… sourit-il.

Cet aspect de la situation le mettait moins mal à l’aise que d’imaginer la traduction de ces regards sous forme de persiflage du style "oh, regardez, c’est le futur professeur de botanique ! Il est déjà sur Joketier!"

Avec une jubilation presque enfantine de se retrouver bêtement au centre de l’attention, Sambre fit passer sa collègue devant lui afin qu’elle ouvre la marche. En fait, c’était mademoiselle Joketier qui était au centre de l’attention. C’était à son sujet que ses élèves construisaient leurs futurs bruits de couloirs : "vous avez vu la prof d’étude des moldus, elle était avec son amoureux. Vous croyez qu’il est moldu…?" (les étudiants disent vraiment n’importe quoi : un moldu à Poudlard…) Quoi qu’il advienne, les deux professeurs auraient tout le mois de septembre pour balayer les rumeurs. Pour l’instant, Sambre s’en amusait. Gardant un léger contact en tenant mademoiselle Joketier à la taille, il la dirigea vers le buffet pour lui servir à boire. Il faudrait bien dialoguer. Boire un verre rendrait la situation moins gênante et les langues se déliraient plus facilement.

La musique jouait très fort. Il ne voulait pas crier pour passer au-dessus de la sono qui se trouvait à côté d’eux. Il le faudrait bien à un moment, certes, mais autour d’un verre. Ainsi Ryffie devinerait facilement qu’il lui proposait de choisir à boire et une discussion plus profonde viendrait sans doute plus tard. Déjà, Sambre lui tendit un verre vide et désigna du regard différentes cruches posées sur la table. Il l’interrogeait ainsi des yeux pour qu’elle comprenne qu’il lui demandait quelle boisson elle désirait. Il la lui servit et se servit lui-même un quelconque jus de fruit mélangé avec un alcool sorcier purement britannique. Croisant encore quelques regards inquisiteurs d’un groupe d’élèves du professeur d’études des moldus, Sambre se pencha à l’oreille de Ryffie et parla à haute voix pour être entendu malgré la musique. Malgré la proximité, le dialogue n’était pas évident. Lui-même n’entendait pas les sons qui sortaient de sa propre bouche:

- Je pense qu’ils sont tous très curieux. Par exemple… je dis, PAR EXEMPLE, voyez le groupe de filles ?… Le GROUPE DE FILLES, répétait-il plus fort pour surpasser la musique, on dirait qu’elles prennent des paris… DES PARIS. OUI. Nom d’un bonnet de gobelin, c’est quand même très fort! Des paris pour deviner à quel point je vous aime. Quel romantisme! J’ai dit "POUR DEVINER A QUEL POINT JE VOUS AIME"! rit-il.

A vrai dire, Sambre ne rit pas très longtemps. La musique avait coupé au moment où il criait "deviner à quel point je vous aime", pour passer à une mélodie subitement plus douce. Sans commentaire. Ces quiproquos n’arrivent que dans les pires situations.

- Hum… lâcha-t-il rouge comme une tomate, avant de se réfugier dans son verre pour boire une gorgée. On devrait déguerpir un moment sur la terrasse.

Le Saut
Le plus grand nombre de "regards/yeux"

Les élèves étaient presque tous venus pour le bal de fin d'année. Ryffie les balaya du regard. Elle en reconnut plusieurs, mais ne put malgré ses efforts mettre un nom en face du visage de chacun. Elle avait peu d'excuses, excepté qu'elle était arrivée récemment. Pourtant, là n'était pas dû tout sa préoccupation majeure. Elle n'avait d'yeux que pour son cavalier qui semblait tantôt inquiet, tantôt rassuré de la situation. Tout en avançant à ses cotés, elle se demandait ce qui pouvait lui traverser l'esprit... mais elle était bien en peine de le savoir. Là était un grand drame humain, toujours tenté de deviner ce que pense les autres. Elle se morigéna et s'ordonna de s'occuper d'abord de ce à quoi elle songeait elle-même.
Quelle belle soirée...
Elle se surprit à sourire telle une gamine de quinze printemps.

Mais l'explication vint tout de même. Le regard de Ryffie se fixa sur lui stupéfaite...
Il a de beaux yeux... Non, ce n'est pas le sujet ! Il est sérieux ? Les élèves peuvent croire cela ? Mais ...

Elle observa alors à la ronde. Effectivement, le couple qu'ils formaient semblait attaché d'une attention toute particulière. Des quantités de regards qui auraient dû porter attention au fond d'un verre vide, aux flux d'élèves, aux décorations de la salle, ou de n'importe quoi d'autre, étaient plongés dans leur contemplation. Mais d'ici à croire ceci... Soudain, elle vit deux gamins qui ne devaient même pas être en troisième année se serrer la main d'un air entendu. Juste avant, ils les fixaient. Ryffie n'en croyait pas ses yeux. Sambre souriait. La situation semblait l'amuser... S'amuser, elle était là pour cela. Elle n'avait donc pas besoin de prendre cela comme une insulte, non. Elle ne le ferait pas qu'ils parlent s'ils voulaient, peu importait. Et même, si prendre des paris pouvaient leur faire plaisir tant mieux pour eux qu'ils continuent !

Il enleva son bras du sien pour le poser sur sa taille. Il la guidait vers... le buffet. Ceci fit sourire Ryffie, un sourire caché au regard de Sambre puisqu'il était légèrement derrière elle. Le buffet avait dans les relations une place si importante que peut d'autre lieu serait en mesure de le remplacer. Il permettait à tous de se réunir autour d'un verre qui se vidait et se remplissait dans un cycle qu'on espérait sans fin. A sa demande informulée, d'un regard qu'elle n'eut aucun mal à comprendre, elle désigna une cruche dont la couleur lui plaisait bien, sans même savoir vraiment ce qu'elle contenait. Il la servit, choisit une autre cruche et fit couler le mélange dans son verre.

Ryffie amena son verre à sa bouche. Tandis que son regard dérivait sur la salle, le délicieux liquide coulait dans sa gorge. Tout était lumineux. Ils avaient même réussi des spots de différentes couleurs, certainement dans un très vieux placard très poussiéreux (comme tout ceux de Poudlard, en fait). Les élèves qui continuaient à chuchoter comme de bien entendu, avaient fait attention à leur allure. Mais son regard ne put s'empêcher de revenir au point de départ, vers Sambre. Celui-ci se pencha vers elle pour lui dire quelque chose, rien de moins compliqué ! Elle dut fixer toute sa concentration à entendre ce qu'il lui disait.

Ryffie eut grand mal à distinguer ces mots. Elle se recula donc, et ses yeux lui transmirent le message. Il essaya donc de lever le ton, tout en riant. Elle chercha le groupe de filles qu'il évoquait. Mais elle ne parvint pas à déterminer de quel groupe, il parlait. Il y en avait plusieurs... peut-être même qu'elles faisaient toutes des paris ! Des paris pour, d'aprés Sambre, pour ... la musique baissa ... ''POUR DEVINER A QUEL POINT JE VOUS AIME ''.

Ryffie pencha la tête vers lui, interloquée. Mais il s'était vite redressé. Il rougit. Ses joues avaient une jolie couleur rose. Elle partit dans un grand rire cristallin sentant tout de même les siennes se colorer elles aussi.

- Et pourquoi déguerpir ? Ce ne sont qu'une bande de gamin... apparement convaincu que vous êtes plus que mon ami, aucune raison d'avoir peur.

Elle le regardait. Ses yeux bruns étaient malicieux. Nemo potest personam diu ferre.(Personne ne peut porter longtemps le masque.) Les élèves se rendraient compte assez tôt de leur erreur. Pourquoi partiraient-ils ? Ils n'avaient rien fait de mal...

- Je pense que le balcon parviendra à attendre le temps d'une danse... M'inviteriez-vous ?, dit-elle en lui souriant.

Finalement, ce ne fut ni le balcon pour gagner un peu d’intimité et faire connaissance, ni les boissons qui délient les langues qui l’emportèrent. Mademoiselle Joketier désira danser, soulignant qu’elle était bien peu soucieuse de ce que pensaient ses élèves. Ce que femme veut…

Pour acquiescer, Sambre inclina la tête poliment sans répondre. Les mots lui réussissaient peu. Il se saisit délicatement du verre de sa collègue et le posa, ainsi que le sien, sur le rebord du buffet qu’ils quittèrent. Son visage avait retrouvé des traits moins inquiets et il traversa la nuée d’étudiants en menant Ryffie par la main. Arrivés sur la piste, la musique avait déjà commencée. Il sourit à sa cavalière et ouvrit ses bras pour l’y accueillir. Une main sur son dos et l’autre dans sa paume. Un deux. Ils se mirent à se mouvoir doucement sur la musique. Il remercia le hasard que ça ne soit pas celle qui venait de s’achever sur laquelle la jeune femme désirât danser.

Sambre s’appliqua à garder une distance respectable avec sa cavalière, afin de pouvoir la regarder si elle venait à parler. En fait, c’est lui qui engagea la discussion après une minute sans parler où il écouta la musique et se laissa aller aux premiers pas. Danser, il aimait cela énormément, au-dejà d'un simple hobby, c'était un moyen d'expression et de transfert d'émotion comme un autre.

Il commença avec une question qui l'informerait de ce qui pouvait l’attendre l’année prochaine et qui, en outre, démontrait ostensiblement qu’il connaissait l’actualité de l’école. Ce qui n’était pas difficile puisque tous les journaux du monde en parlaient:

- Comment c’est l’enseignement à Poudlard quand n’est pas enlevé par une étrange armée d’étudiants masqués?

Musique:
Je n’ai pas pu trouver mieux sur Internet: mais cette version, avec ses défauts, me plaît bien aussi ici
Extrait de l’originale ici

Sambre acquiesça. Il la débarrassa de son verre dont elle n'avait pas pu finir entièrement le délicieux breuvage. Tant pis, elle devrait avoir l'occasion d'en reprendre avant la fin de la soirée... certainement.
Sambre lui prit la main. Cela lui fit tout drôle. Sa main ... non, voilà qu'elle repartait dans ce sens. Elle devait se concentrer sur autre chose. Elle se pencha alors sur la solution facile : l'observation des élèves. Le temps que Sambre la guide jusqu'à la piste de danse, elle vit nombre de regards interrogateurs, compréhensifs (mais que comprenaient-ils donc ?), même inquiets ! Mais elle put se consacrer à une étude de leur comportement parce qu'ils arrivèrent sitôt sur le lieu, et parce qu'elle n'y tenait pas non plus !

Sans la lâcher, il la fit légèrement tourner pour se retrouver face à elle. En même temps, qu'il passait sa main dans son dos, elle posait délicatement la main sur son épaule. Elle lui sourit et ils commencèrent. Un, deux, trois. La musique était belle, elle aimait beaucoup. Un, deux, trois. Elle l'avait déjà entendu quelquepart mais ne put se décider où. Un, deux, trois. Ne pas lui marcher sur ses chaussures qu'il avait du cirer avec soin. Un, deux, trois. Juste se laisser aller avec la musique. Un, deux, trois. Comme si l'univers diminuait pour n'être plus que la musique, elle et Sambre. Un, deux, trois. Sambre lui posa une question.

Elle releva la tête vers lui, surprise et par pari respondere (répondre du tac au tac).

- Je suis arrivée après la fin des enlèvements. J'avoue que je n'ai jamais pensé que je puisse être enlevée !

Elle laissa son regard dériver un peu. Elle voulut remonter ses lunettes mais elle ne le put pas. En effet, elle avait les mains prises et surtout, elle les avait laissé chez elle. Un, deux, trois. Que lui répondre exactement ? Un, deux, trois. Se lancer. Un, deux, trois. Comment se fait-ce qu'elle n'ait même pas pensé aux disparitions plus que cela ? Un, deux, trois. Elle parla.

- C'est la première fois que j'enseignais. Et comme je suis arrivée sur le tard, je n'ai pu faire qu'un cours. Les élèves ... Elle fit une courte pause. Les élèves étaient comme tous les autres je suppose... Un peu inculte, un peu cultivé, un peu bavard, un peu discrèt et un peu ... un peu ... passons. Un peu tout.


Elle lui sourit. Elle ne devait pas lui être d'une grande aide. Son explication était loin d'être claire. Elle se laissa entrainer. Un, deux, trois. Elle aimait danser. Un, deux, trois. Elle aimait tant ... Un, deux, trois. Parler de cours, de l'école. Un, deux, trois. Alors que la musique, la danse et leur magie opèraient ? Un, deux, trois. Point, quitte à discuter autant apprendre à se connaitre. Un, deux, trois. Elle ne savait par où commencer.

Un, deux, trois... Mais le un suivant n'arriva jamais. Ryffie s'arrêta nette. La danse était déjà finie. Elle regarda Sambre surprise jamais une danse ne lui avait sembler si courte. Mais peut-être si agréable aussi ... quoique celle de fin de promotion à Beauxbatons avec Flavien...
Le nouvel air qui montait lui rappellait un très mauvais souvenir. C'était un air moldu qu'elle s'étonna de retrouver ici à Poudlard... Ryffie perdit instantanément son sourire. Elle se détourna au maximun en lâchant la main de Sambre. De dos, elle lui glissa en lui faisant un petit geste pour qu'il la suive.

- Là, je crois qu'il est grand temps de voir si la vue de la terrasse est belle.

Elle esperait que son collègue ne se serait apperçu de rien, mais surtout qu'il serait là quand elle se retournerait dehors.

Pour briser la glace, il avait puisé dans sa mémoire les souvenirs des quelques feuilles de choux qu'il avait lues en venant par le train. Il se trouva que Ryffie était elle aussi une nouvelle enseignante. Témoin de son aise, jamais il ne l'aurait imaginé. Elle clôtura le sujet avec une délicatesse discutable mais tellement féminine que cela arracha un sourire au futur professeur:

* Mm? 'Un peu de tout'? En voilà une bien charmante information inutile. * se dit-il en concluant qu'elle agissait ainsi soit parce qu'elle n'avait pas envie de parler de travail, ce qu'il comprenait on ne peut mieux, soit parce qu'elle préférait le silence, la musique et se laisser bercer, ce qu'il comprenait aussi.

Supposant que ces deux options comportaient toutes deux une certaine justesse, Sambre décida de ne plus prononcer un mot jusqu'à la fin de la danse. Un sourire conclut l'échange. Les tensions qui régnaient encore sur deux ou trois de ses muscles dorsaux disparurent. Il serra sa main sur la taille de mademoiselle Joketier, se pencha un peu plus pour absorber un peu de la distance qu'il y avait entre eux et laissa s'égrainer les dernières minutes de la chanson. Une chanson qui lui rappelait quelques pages de son histoire passée, des douleurs aussi, qu'il affectionnait pour ce qu'elles étaient: des souvenirs. Des mots qu'il avait un jour prononcé.

La musique s'acheva bientôt et Ryffie lui sembla sortir d'une rêverie. Elle lui tourna soudainement le dos. Elle voulait prendre l'air sur la terrasse. Sambre avait vaguement perçu qu'à l'arrêt de la musique, quelque chose n'allait plus chez elle. Toute la tension qui avait disparue pendant le morceau revint en une fraction de seconde. Chacun reprit son espace. Retour à la normale.

* On dirait qu'elle fuit mon regard. Peut-être que finalement elle regrette mon invitation... * douta-t-il

Tout à fait. Une ombre, une tension... ou quelque chose. Sans encore oser aborder le sujet de façon frontale, il la suivit vers la terrasse. Le silence régnait entre eux. Il s'adossa à une rambarde de marbre et la chercha du regard pour lui demander sans trop d'affect:

- Qu'est-ce qui ne va pas? Je vous ai dit ou fait quelque chose de mal....?

Il était là et cela la rassura. C'était peut-être juste le fait qu'il y ait quelqu'un mais...

- Ne vous inquiétez pas pour moi, vous n'avez rien fait de mal. Tout au contraire, vous dansez magnifiquement bien. C'était... juste un mauvais souvenir. Passons et parlons de quelque chose de plus agréable, adapté à la soirée.

Sambre n'insista pas pour l'instant. Si elle le voulait vraiment, elle le lui partagerait plus tard. Il n'aimait pas creuser dans les mauvais souvenirs des gens malgré la curiosité qui l'avait piquée:

- Quelque chose d'agréable et d'adapté à la soirée? Bien... Fastoche!
Je ne suis pas un grand bavard... mais je peux faire des efforts...

Vous êtes anglaise?

* Pouah!! C'est nul... je ne suis qu'un nigaud. *

Elle eut un petit sourire amusé. Il fallait bien commencer quelque part pour apprendre à connaitre les autres.

- Point du tout. La France est le cher pays de mon enfance. N'ai-je pas un petit accent qui me trahit ?

- Si, justement... c'est pour ça que je posais la question. Je suis moi aussi français. C'est inhabituel de venir du même pays et de parler l'anglais, n'est-ce pas? Et si nous basculions en français, proposa-t-il amusé.

(NDRL: On imaginera aisément que tous protagonistes sont britanniques bien que la langue écrite du forum est le français.)

- Avec le plus grand plaisir, darling... pardon, monseigneur...

Mutatis mutantis, le passage de l'anglais au français se fit sans difficulté.

- Imaginez que maintenant nous pouvons dire tout ce qui nous passe par la tête ! Personne ne nous comprendra ou quasiment !

- Vous avez des choses à dire que vous ne souhaitez pas que les autres entendent? se joua Sambre.

- Voyons... Nous avons tous des remarques que nous ne souhaiterions pas voir tomber dans les oreilles de tous. Pas vous ? Contra-t-elle.

- Non. Je suis claire comme de l'eau de roche. Si j'ai des choses à cacher, elles le sont si bien qu'il ne viendrait à l'esprit de quiconque de m'interroger à ce sujet... Mais alors comme ça, Miss Joketier est remplie de pensées indicibles. Cette information n'est pas à perdre dans n'importe quelles oreilles, je vous l'accorde.

- Clair comme de l'eau de roche ? Mais cette eau est en montagne... si fraiche ! Espérons qu'elle ne soit pas trop froide... Je me serais plutôt comparée à une mare avec tant de vase que, moi-même, je peux m'y perdre. J'espère que vos oreilles n'ont pas trop peur de l'envasement ?

- Non, mademoiselle, car c'est dans la fange qu'on trouve les trésors. Où on s'y attend le moins, la beauté se cache, où on ne voit que du noir, brillent des gouttelettes d'espoir. Vos marais ne devraient pas faire exception.

- Si seulement, vous aviez raison... Non, vous devez avoir raison. Il faut juste arriver à voir clair, justement... Peut-être alors que l'eau de roche est encore plus compliquée que la vase? Pourtant, un peu tout est difficile. On pourrait dire que c'est injuste néanmoins c'est le charme de la vie. Mais comment sommes-nous parvenus à une conversation déjà si sérieuse ?

- Mais nous sommes des gens sérieux! S'esclaffa Sambre en se tournant légèrement, pour se mettre face à Ryffie. Il reprit:

- Quand nous dansions... à la fin... Vous avez fui.

Ce n'était ni une question, ni un reproche. Juste une constatation. Une nouvelle porte ouverte si elle voulait partager la nasse de son marécage avec son collègue, pris dans le même piège. Mais...

Elle bloqua.

- Je n'ai pas fui ! Je suis partie...

* Où est la différence? *

- La chanson ne me plaisait pas tellement... Et elle se dansait mal...

* Or, je trouvais qu'on la dansait si bien... *

- Et, Et...

Elle le regarda avec franchise et un air mélancolique.

- Et, elle me rappelait un vieux souvenir, si vieux... et la musique l'a fait remonter à la surface.

Soupir. Sambre, touché par la détresse de Ryffie, se perdit en digressions verbales. Un témoignage mais au delà de ça, il n'insisterait pas. Il ne voulait pas gacher la soirée.

- Moi, je l'aime cette chanson. J'y attache aussi un lot de souvenirs pas très jeunes. Du moins, la nostalgie qui s'en dégage est toujours d'actualité dans ce que je vis. Je veux dire, dans ce qu'elle raconte.

Un silence plus ou moins long où on ne savait lequel des deux allait parler ensuite. Ryffie réagirait-elle ou Sambre expliquerait-il ce qu'il voulait dire? Ses paroles faisaient clairement référence à un aspect de sa vie privée. On devinait que la personne à laquelle ce souvenir était attaché, n'était plus dans la vie du jeune homme.

Toujours au sujet des paroles de la chanson, son ton était doux - cela s'entend - mais pas plaintif. Zéro trace de regret. Que du bonheur:

- Mais ça n'a pas suffit. La douceur n'est pas assez. Et il a fallu recommencer avec une autre, plus tard... et ce n'était toujours pas assez. Les mots sont moindres que les gestes, alors je me disais qu'en me montrant attentif, amoureux, disponible, elles seraient heureuses. Rien. Le bonheur, c'est autre chose. C'est là, des fois. Dans un sourire. Ca s'en va et ça revient dans un regard. C'est un souvenir futile qui fait mal. Une gifle qui fait mourir de rire. Comme les trésors des marais: le bonheur est là où on ne l'attendait pas puis il se dérobe dans les paroles d'une chanson, en laissant des traces... mêmes infimes. Juste pour nous rappeler qu'il est parti mais qu'on peut le retrouver si on prend la peine de le chercher bien.

Ahuri, Sambre reprit en anglais, mimant avec un excès risible, l'accent gallois:
(évidemment, tout le monde ici sait exactement à quoi ressemble l'accent gallois -_-')

- Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça. Je suis désolé... Mouais. Des vieux souvenirs

* Merci... *

Ryffie sentit qu'il était lui aussi attaché à cette chanson... Ce pourrait-ce qu'il la connaissait ? Impossible. Son coeur se serra. Les mots sont comme les gestes, ils peuvent mentir. Mais quand le coeur est en question...

- Rentrons voulez-vous?

- Oui, rentrons.

Elle lui attrapa le bras en le regardant droit dans les yeux.

- Rentrons, répéta-t-elle d'une voix douce.

Sambra accueillit mademoiselle Joketier à son bras d'un sourire entendu et l'entraîna doucement vers la salle où la fête battait désormais son plein.

Situation : Vous passez une agréable soirée d'été... Mais pas de chance, votre cavalière vous plante. Résumez la fin de votre soirée sur le thème de "Ben elle avait qu'à poster, maintenant elle se débousera avec ça dans le DJ, je vais pas lui faire de cadeau, non, mais."


Ils passèrent une agréable fin de soirée jusqu'à ce que Mademoiselle Joketier, qui avait certainement trop bu, s'absente pour ne jamais revenir. Etonné mais trop fier pour en faire cas, le nouveau professeur n'en fit aucune aucune remarque les jours qui suivirent. Et même après qu'il reçut un hibou de la jeune femme qui s'excusait d'avoir ainsi disparue (deux semaines plus tard).

Le français avouait sans consteste qu'au début il s'était montré profondément soucieux. En effet, le couple d'un soir avait abordé dans leur discussion les problèmes que les professeurs de l'année écoulée avaient rencontré. Plus qu'un problème, ceux-ci s'étaient a priori fait enlevé par un groupe d'élèves masqués. Ses craintes furent dissipées au hasard d'un couloir quand il croisa un ban de piplettes de Serdaigle qui retournait à leur salle commune. Serdaigle, la maison dont Ryffie était la directrice d'après ce qu'il avait compris. Et voici ce qu'il perçut de leur conversation:

- T'as vu Joketier?! Elle avait l'air d'en tenir une couche dis donc! Qu'est-ce que ca va être l'année prochaine si elle tire comme ça sur la bouteille! Et le nouveau prof, cette grosse andouille, c'est le gros lot qu'il a tiré lui (ceux qui trouvent cette phrase bizarre ont rendez-vous dans mon bureau pour 120 heures de colle). Ben dis donc! ah ah ah! T'aurais dû la voir monter dans son carosse, heureusement que Dumbledore était là pour l'y faire entrer! Ah ah ah!!

- Ah---ah---ah. avait maugréé Sambre adossé à un mur à côté duquel passaient les jeunes filles.

En tout cas, Sambre pouvait être rassuré. Elle était rentrée chez elle saine et sauve et il fit de même.

A la rentrée, il n'adressa pas un mot à son homologue français mais la salua aimablement avant de vaquer à son premier cours.

"Alcoolique "

THE FIN