[Potions] Allanah - Seth

« Je n’ai aucune excuse pour expliquer ce retard. Je pourrais en donner une mais... Je ne suis pas le genre de personne à arriver en retard et, si les gens savaient à quel point je ne suis pas le genre de personne qui devrait arriver en retard, ils ne pourraient pas me pardonner. Je compte sur l’ignorance et la gentillesse d’Allanah pour passer entre mailles du filet.

Je pousse la porte de la salle Nicolas Flamel et me dirige vers le professeur Des Lys pour m’excuser. Il corrige des copies. Je ne m’éternise pas devant la paillasse où il s’est installé en essayant de lui servir une très bonne excuse. Je m’excuse et je vais vers Allanah. Je pourrais mentir et trouver quelque chose d’original mais je n’ai rien à dire. Si je disais la vérité, on en arriverait à une discussion surnaturelle. Ca serait tellement plus simple de pouvoir dire la vérité :

- Bonjour, professeur.
- Vous êtes en retard, Cullen. Même votre frère est arrivé avant vous. C’est pour vous dire combien vous êtes en retard.
- Oui, en effet.
- Vous avez une excuse ?
- Pas vraiment... de l’étourderie...
- Expliquez sinon je vous mets en permanence.
- J’étais parti chasser dans la forêt.
- Vous vous foutez de moi ? C’est votre excuse de la semaine dernière !
- Vous autres, humains, vous bénéficiez de trois repas par jour. Pour n’ennuyer personne, je me contente d’un repas par semaine... Je n’ai pas le droit à une dérogation ? Je ne sais pas quand la soif va me frapper !
- Ne vous énervez pas. Je ne voudrais pas être votre prochain repas. Allez vous asseoir, Cullen, et faites attention la prochaine fois.
- Merci professeur.
- Pas de quoi. Prévoyez une gourde si ça vous reprenez.
- Une gourde ? Bien sûr...

Irréel.

Ceci étant complètement impossible, je suis en retard et je n’ai aucune autre excuse que d’avoir croisé la fantastique odeur de Sothis Chambers ce matin. Un singulier mélange de saveur chocolatée et sucrée, d'odeur fruitée, outre la senteur naturelle que possède sa peau. Une senteur à la fois froide et chaleureuse, douce et âpre*. Ca m’a mis au supplice pour la journée car je n’ai pas bu depuis un moment. Il fait partie de mes pénibles épreuves. Je l’évite le plus possible mais, le Serdaigle étant d’un naturel renfermé et solitaire, il ne doit pas le prendre pour lui. Je ne suis pas même certain qu’il ait remarqué à quel point j’évitais de croiser sa route. Ils sont quelques uns, comme ça, à m’attirer irrésistiblement. Rien d’aussi fort que le parfum d’Eden. Mais difficile effort que de garder les crocs rangés. »


Seth s’approcha de la table où il avait repéré Allanah. Bref coup d'oeil à Sothis. Bref coup d'oeil à Liam affairé avec Isis.

Il n’avait pas pris la peine de trouver une histoire à raconter à son professeur mais il estima qu’il devait trouver quelque chose de mieux pour une camarade ; de sa maison en plus. Il ne voulait pas passer pour un tire au flanc. La meilleure excuse était une excuse probable :

- Je suis désolé, Allanah, dit-il en posant son sac et son chaudron. Il la contourna avec soin pour ne pas l’effleurer et s’assit à l’autre tabouret. J’étais avec ma sœur, une petite dispute avec Clarence, elle avait besoin de parler.

Note pour plus tard : prévenir Japhet qu’elle a eu une dispute avec Clarence cet après-midi.

La Serdaigle avait déjà commencé le travail. Seth parcourut le manuel en vitesse. Il se lava les mains et constata qu’il manquait quelques ingrédients. Les deux scarabées. Il ne fit pas de commentaires, supposant à tord ou à raison, que les filles ne devaient pas apprécier la compagnie des invertébrés. Comment lui en vouloir ? Liam aussi était phobique des petites bêtes. Ce qui était plus ennuyeux restait que les insectes, comme tous les autres animaux, n’aiment pas beaucoup Seth non plus. Il put le constater quand il s’approcha du bocal pour en attraper deux. Tous les scarabées se mirent à grouiller frénétiquement comme si un terrible danger les menaçait. C’était peu dire. Ils devaient finir dans un bouillon. Il parvient à en attraper deux qui jouèrent les morts quand il les rapporta à leur paillasse. Seth les enferma sous une coupelle qu’il retourna.

Silencieusement, il repéra l’étape où en était Allanah et commença à se mettre au travail pour la rattraper. Pendant qu’elle effeuillait les dix Aconits, il sépara les deux Spirituums de leur tige et les coupa chacun en quatre morceaux de huit tailles différentes. Les racines de mandragores et les scarabées attendaient leur tour.

L’eau du chaudron se mit à s’évaporer, de légères bulles apparurent sur la paroi. Il attendit que son binôme mette les Aconits dedans puis toutes les 7 minutes trente, il glissa suscessivement dans la potion deux racines, deux scarabées, et encore deux racines. Cela laissait de très longs silences. Parce que Japhet lui avait dit que les gens normaux aimaient bien discuter pendant qu’il ne se passait rien, Seth prit sur lui et tenta maladroitement un début de discussion :

- Heu... ça va... ?

D’accord. Ce n’était pas maladroit, c’était nul. Au moins avait-il essayé.

Long silence. Pour l'instant pas de réponse et pas de réaction.

Seth battit en retraite. C’était définitivement le genre d’exercice dans lequel il était particulièrement mauvais. Aux simples « ça va » il n’avait jamais su ce qu’il fallait répondre. Devait-on réellement dire la vérité ou la question était vouée à demeurer éternellement rhétorique ? Il l’avait posé sans savoir ce qu’elle engageait. Les « ça va » dit en mouvement, on peut s’en débarrasser. Les « ça va » dit assis, restent posés entre nous et notre interlocuteur et il est difficile de leur faire un croche pied. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de poser une question pareille ! Une très difficile question quand elle n’était plus transparente mais diaprées des nuances que celui qui répondait peignait à sa guise. Maintenant, il devait être le consommateur d’une forme d’art qui lui était inconnue. Devant le tableau cubique d’un « ça va » et de ses écoulements de peinture, le vampire fit grise mine.

« Ca va ? Non, ça va pas. Comment veux-tu que ça aille triple scroutt ? Tu n’étais pas là quand l’école s’est transformée en Guernica ?

Si, j’étais là. Je suis peut-être le seul - et Dieu me punira s’il m’attrape un jour pour de bon -, mais j’ai trouvé dans cette insurrection une manière personnelle d’étancher ma soif de violence jusqu’à y prendre goût.

Avec le recul, je suis parvenu à me pardonner mes excès.

Cependant, pour Allanah et les autres, ça ne peut pas aller.
Mais ça ira de nouveau parce qu’ils sont ainsi fait que la mémoire finit toujours par faire son travail. C'est-à-dire, oublier. »

9 minutes d’attente.
Même pour un vampire, dans cette situation, ça devenait très long.

Seth se résigna. Il cacha comme il le put le manque d’émotion et le faible impact que l’horreur avait eu sur lui. Il ne voulait pas la choquer alors il trouva une mine assez convaincante à lui jouer :

- On ne le revivra plus, sois-en certaine. Et pour ne plus le vivre, il faudra accepter quelques changements. Le Combat Blanc va changer à tout jamais la structure de nos relations avec les moldus. Les sorciers ne peuvent pas effacer... pas plus que les familles de moldus qui ne reverront pas rentrer chez eux leurs fils, leurs maris et leurs amis. Tu crois que le ministère de la magie doit envoyer combien d’Aurors pour lancer mille ou deux mille sortilèges d’Oubliettes ? On pourra oublier et accepter ce qu’on a vécu, on pourra peut-être le pardonner mais on ne pourra pas l’effacer de la frise chronologique. On ne le revivra plus physiquement mais on payera éternellement les conséquences. Autant s’habituer maintenant et aller de l’avant.

C’était très raté comme façon de jouer la compassion. Seth avait parlé avec sang-froid (ah, ah) et beaucoup de distance. Sa réponse mélangeait ce qu’il savait pour l’instant du futur et le besoin de transmettre la nécessité de tourner la page pour laisser en chacun l’espace vital indispensable à l’établissement de nouveaux projets, aux changements qu’ils allaient amener en soi, à la maturité spirituelle et à l’indépendance dont il faudrait faire preuve pour résister à la tentation de la vie facile.

Tout en suivant l’animation de la table Sothis/Ellys, Seth ramena devant lui le bol de bronze. Il retrouva distraitement sa manche et mélangea le philtre avec sa propre main jusqu’au refroidissement total du mélange.

Il ne rebondit pas sur la réplique d’Allanah car c’était évident. La marque resterait. Un sourire un peu plus joyeux l’invita à se lever. Chacun prit son bol et se dirigea vers le fond de la classe où le professeur de potions avait installé un coin confortable.

Les yeux du Serdaigle ne purent s’empêcher d’observer son aîné, calfeutré dans les coussins, les yeux fermés et une fille dans les bras. Il fallait toujours qu’il y ait une fille... En tout cas, celle-ci, le vampire était certain qu’elle ne serait pas une conquête. Seth roula des yeux et alla s’asseoir à l’opposé. Il s’ôta de l’esprit tout ce qu’il ne voudrait absolument pas partager avec Allanah. Par exemple, le bain de sang du Combat Blanc ou tout ce qui touchait de près ou de loin aux vampires et aux loups-garous. Il lui faudrait aussi éviter ce qu’il s’était passé avec Isis. La voir dans les bras de son frère rendait quelque peu fébrile le Serdaigle.

Il n’a pas intérêt à bouser, pensait Seth.

Aimablement, Seth écarta un tabouret du chemin d’Allanah et l’aida à s’asseoir en lui prenant temporairement sa vasque qu’il reposa ensuite dans ses mains. Il fit le tour du tabouret qui leur servirait de table pour poser les lourds saladiers et s’assit assez loin d’elle. Il ne s’agirait pas de la toucher...

Puis une grosse interrogation le heurta : il fallait dormir pour éprouver l’influence du philtre. Il en était incapable. Un mort ne dort pas, or Seth n’était pas très vivant, donc Seth ne dormirait pas. Le syllogisme défiait tout axiome contradictoire avec une clairvoyance infroissable. Ce philtre allait-il fonctionner sur lui ?... c’était impossible.

Il devait d’ores et déjà penser à une façon d’expliquer l’échec plutôt que d’essayer de dissimuler des souvenirs qu’il ne risquait pas de partager.

Le hic...

- Commence, proposa-t-il accort à Allanah sous couvert de galanterie.

Seth avait sa réponse : il ne pouvait pas dormir. Il sentit, éveillé, la songerie d’Allanah occuper une partie de son esprit. Telles qu’elles lui parvenaient, les images étaient parasitées par des images de ses propres souvenirs et pensées. Par exemple, il avait le sentiment de connaître l’endroit où se déroulait le souvenir de sa camarade. Toutefois, il y avait des sautes mais il avait perçu la majorité de la situation : un petit garçon, un homme, un Noël. Fin de l’histoire.

Seth fit semblant de se réveiller, il mima ses étirements avec authenticité et spontanéité. Ce n’était pas la première fois qu’il devait faire semblant de se réveiller, c’était même devenu un jeu de trouver différents bâillements ou des mines ensommeillées pour complaire aux illusions distribuées à ses camarades de dortoir.

Pour le TP, il ne s’était jamais assoupi. Pendant qu’elle revivait son souvenir, les paupières entrouvertes sur Allanah, Seth l’avait regardé au détail. Il ne l’avait jamais vraiment regardé avant. Le Serdaigle se rendit compte qu’elle était jolie. Il ajouta aux essences de fleur de tiaré qu'il sentait parfois dans la salle commune, un visage dont les contours lui parurent moins flous. Allanah était la fille qui sentait les vacances quand son visage paraissait pourtant si mélancolique et calme... la peau blanche loin des plages et du soleil ambré.

Donc, présuma-t-il, il y a de grandes chances pour qu’elle n’ait qu’une vision brouillée de mon souvenir.

Il lui sembla que ça serait plus facile à justifier qu’un cuisant échec de la vision. Il pourrait dire qu’il était nerveux ou n’importe quel autre mensonge.

Sa curiosité quant à la réussite de l’exercice l’emporta sur la vigilance. Il but et lui donna à boire ensuite le fruit de leur travail à même le récipient de bronze qu’il s’était attribué.



Images brouillées

Seth, à bout de force, blessé et pâle, titube sur le chemin enneigé qui serpente à travers Białowieża.

Images brouillées. Flash indistinct. Un vampire attaque un loup-garou. Liam, neuf ans, soigne une plaie sur le genou de Seth, huit ans. Une plaine remplie de milliers de soldats dont la moitié tient des baguettes et l’autre des fusils. Japhet, sur son balai, passe par la fenêtre de la cuisine. Un feu dans une cheminée. Une lune pleine. Un bras dans lequel on enfonce un pieu. Du sang qui coule. Une femme d’une étonnante beauté qui marche doucement vers lui en murmurant des paroles incompréhensibles. Une pièce noire où perce la lumière d’une bougie à côté de laquelle un homme est assis. Eden qui dort dans son lit de Gryffondor.

Image brouillée d’Eden qui respire paisiblement dans son sommeil.

L’image se stabilise. Seth est debout au pied du baldaquin d’Eden, appuyé contre une des colonnes, il la regarde dormir. Meghan Cameron bouge dans son lit. Seth disparaît du dortoir.

Image brouillée d’un très long couloir qui débouche sur une forêt. Lumière agaçante qui éblouie. Une silhouette qui se découpe dans cette lumière. La femme à l’étonnante beauté, encore elle, lui tend la main. Il ne la saisit pas et sort du tunnel.

- Seth, tu n’es pas assez concentré, dit-elle. Tu dois à tout prix savoir te retenir sinon couic.

Seth ne répond pas. Il ne prend pas la main tendue et dépasse la femme aux long cheveux noirs. Il marche seul en direction de la forêt lumineuse qui s’étend derrière eux. Elle le rejoint en dansant.

- Tu as faim ?

Il ne répond pas et se contente de s’asseoir sur une souche. Ses bras son ensanglantés, son visage et son arcade sourcilière saignent mais il ne semble pas avoir mal.

- Tu dois trouver la façon de te nourrir au milieu de cet endroit... sinon tes blessures ne vont pas guérir. Tu trouves ou je dois encore t'infliger une torture ?

Seth fait non de la tête. Il s’allonge sur la souche, déterminé à ne pas parler à son vis-à-vis qui s’approche de lui à une vitesse démesurée. Elle s’assoit sur son ventre. Avec la même vitesse, Seth se dégage et tombe de la souche.

Vision brouillée. Retour dans la salle de potion.


Seth se leva d’un bond de son siège et se pencha au-dessus d’Allanah pour s’excuser :

- C’est... c’est un mélange de rêves et de réalité. Je ne dois pas avoir un esprit traditionnel, inventa-t-il en reculant, pressé de fuir. Je suis trop tracassé, je lis trop de romans... Salut, Allanah... je... je dois y aller...

Nerveux, le Serdaigle ramassa ses affaires et rangea quelques ingrédients et ustensiles de leur paillasse. Il renouvella ses excuses en priant Allanah de bien vouloir terminer de ranger sans lui :

- Je me rachèterai, jura-t-il.

Il passa à côté de son frère et d’Isis qui se tenaient debout l’un en face de l’autre. Il la salua brièvement sans se douter de la commission qu’elle laissait à son frère. Il le lui rapporterait sans doute plus tard.