La vie, la mort?

"Digne," répéta Sothis dans un souffle.
La réaction que Meghan décrivait comme celle qu'elle aurait était la plus "normale" peut-être. Pleurer, sangloter, pleurer... S'endormir d'épuisement après une longue journée de pleurs... Sothis lui, ne dormait presque plus.

"A quoi bon être digne quand on souffre? Cela n'apporte rien, bien au contraire," déclara Sothis.

Il avait bien remarqué qu'en disant cela, elle se dévalorisait. Il tentait maladroitement de lui faire comprendre que ce n'était pas si bien d'être "digne" et d'ailleurs l'était-il vraiment?

"Dans mon cas, ce n'est pas de la dignité mais de la lâcheté. Les personnes qui osent montrer ce qu'elles ressentent sont les plus courageuses à mon avis."

"Mais... je voulais dire que c'est... une bonne chose que tu te sois rendu compte que les autres avaient aussi leur importance dans ton monde... je crois. Enfin, si j'ai pu..."

Sothis acquiesça doucement. Elle avait raison, c'était vraiment une bonne chose pour lui qui s'était toujours isolé des autres. Et s'il était capable de l'admettre maintenant, c'était grâce à Meghan. Il n'osa pas vraiment le lui dire, c'était assez embarrassant dans le fond...
Les paroles de Meghan étaient précipitées, comme si elle voulait dire le plus de choses possibles d'un seul coup. Mais Sothis n'y fit pas vraiment attention car cela ne le perturbait pas plus que cela.

"Oui, je pense aussi que c'est une bonne chose qu'on se soit rencontré... Je trouve que c'est assez facile de parler avec toi. C'est rare que je pense ou dise une telle chose..." déclara Sothis en rougissant légèrement. Il avait vraiment fait un grand effort pour dire cela mais il voulait le faire, il voulait qu'elle sache que cette rencontre était particulière pour lui.

Sothis songea alors aux paroles de la jeune fille concernant la réincarnation. Il aimait beaucoup cette idée car il se disait alors que son père n'était peut-être pas totalement mort et qu'une partie de son âme vivait encore...
Le jeune homme entendit ensuite un léger rire s'élever dans la pièce. Ce rire c'était le sien après la déclaration de Meghan concernant sa peur de se réincarner en poireau. Il l'imaginait parfaitement dans la situation et cela lui arracha un nouveau rire. Il ne se moquait pas d'elle car les peurs étaient parfois inexplicables... Lui même avait eu peur de regarder sous son lit jusqu'à l'âge de douze ans, persuadé qu'un monstre étrange s'y cachait... A y réfléchir, c'était beaucoup plus bête que d'avoir peur de devenir un poireau!

"C'est sûr que vu comme ça, ce n'est pas une perspective réjouissante... Mais je ne suis pas sûr que le poireau sache qu'il est poireau ou qu'il était humain avant..." répondit Sothis avec un faux air de réflexion intense se demandant un instant si les légumes avaient une conscience... A priori, non, mais peut-être qu'il y avait des humains réincarnés en poireau et quel triste sort de finir dans une soupe! Ce qui était sûr, c'est que Sothis ne verrait plus les poireaux de la même manière...

"Ma famille est athée. Je n'ai jamais entendu parlé de la vie après la mort ni de réincarnation. Je crois que j'aurais été terrifié comme toi si on me l'avait dit enfant. J'étais un vrai petit froussard quand j'étais petit," ajouta Sothis plus sérieusement bien qu'il garda un léger sourire.

Sothis trouvait Meghan amusante. Elle était parvenue à le faire rire franchement sans même qu'il ne s'en rende compte. C'est surement pour cela qu'il se sentait mieux car pendant quelques minutes, elle avait réussi à lui faire oublier sa peine.

*Merci...* Pensa-t-il en la regardant.

Pour une fois, Meghan n'était pas exactement d'accord avec Sothis. Enfin, pour être plus exacte, elle s'accordait sur le fond mais n'aurait jamais osé le revendiquer.

"La dignité, c'est aussi empêcher les autres de t'atteindre malgré les remarques et les moqueries. Tu es largement plus digne que moi."

Une fois n'est pas coutume, ça n'était pas son manque de confiance qui la faisait parler. Il n'y avait rien de moins digne que de fondre en larmes en public, pour une apparente broutille, même si, au fond, on avait le coeur gros, prêt à déborder.

"Et je ne suis pas d'accord pour parler de lâcheté."

Meghan Cameron qui osait un avis différent? C'était une première.

"Tu te protèges. C'est pas un crime."

Et, quoi qu'on en dise, une fille qui pleure, ça n'était pas la même chose qu'un garçon qui pleurait. Les mentalités collectives étaient très fixes là-dessus. Sauf qu'elle ne savait pas comment exprimer ça à voix haute.
Pas plus qu'elle ne sut expliquer la chaleur qui lui envahit la cage thoracique. Une bonne chose qu'il l'ait rencontré. Facile de parler avec elle. C'était bon aussi, des fois, d'être avec quelqu'un sans ambiguité aucune, juste parce que ça nous faisait plaisir.

Quant aux poireaux...
Meghan eut un petit sourire.

"J'ai plus trop peur des poireaux, maintenant. Mais à l'époque, j'étais terrifiée. Et puis, j'osais plus rien manger. Je me disais que moi, je n'aimerais pas qu'on me mange. J'étais jeune."

Son sourire se fit indulgent à ces derniers mots.

"Dans l'idéal, c'était censé me réconforter comme idée... Me dire que même si je mourrais, une autre vie m'attendait après.
Ca fait quoi d'être athé?"

Ne croire en rien. Etre persuadée que la mort était un grand vide, un néant dont on ne revenait pas. Un...

'Flûte!'

Songer au rien alors qu'il venait de perdre quelqu'un. Quelle imbécile elle était.

"Pardon."

Elle n'avait pas tort: la dignité était aussi ne pas se laisser atteindre par la méchanceté des autres, montrer un visage fort quand le cœur et l'esprit souffraient. Mais en même temps, était-ce vraiment bon de montrer de l'indifférence quand on pensait le contraire? Sothis ne trouvait pas très digne le fait d'ignorer les moqueries car pour lui, il serait plus digne de pouvoir riposter de façon cassante. Le Serdaigle s'était toujours contenté d'un grand silence passant soit pour quelqu'un d'indifférent, ou pour quelqu'un qui ne savait pas quoi répondre. La dernière solution était sûrement la plus juste. Mais c'est sûr qu'il y avait pire: fondre en larme en public. Cela, il ne pouvait pas le nier et il avait la chance que cela ne lui soit jamais arrivé!

Il était vrai que pour lui, se protéger de ses propres sentiments était devenu un automatisme. Sothis fut surpris qu'elle ne considère pas cela en lâcheté car pour lui, malgré tout ce qu'elle pourra dire, refuser d'admettre ce qu'il ressent était être lâche. Enfin, encore une chose qu'il n'appliquait qu'à lui même car pour une autre personne, il n'aurait pas parlé de lâcheté. Il ne répondit pas aux paroles de Meghan mais se contenta d'acquiescer silencieusement, montrant ainsi qu'il l'avait écoutée et comprise.

Quand elle revint au sujet des poireaux et qu'elle raconta qu'elle avait eu peur de manger sous prétexte qu'elle n'aimerait pas qu'on lui fasse la même chose, Sothis se remit à sourire doucement. Il trouvait cela vraiment mignon dans le fond. Imaginer une enfant déclarer à sa mère qu'elle ne voulait pas manger pour cette raison était amusant, même si les parents ne devaient pas être ravis à l'époque...

"On peut avoir de drôles de réaction quand on est enfant," déclara Sothis en émettant un léger rire.

Il ferma les yeux un moment, ne voulant pas oublier ce moment d'apaisement, ce moment où il était parvenu à rire et à oublier sa morosité habituelle.

"Dans l'idéal, c'était censé me réconforter comme idée... Me dire que même si je mourrais, une autre vie m'attendait après.
Ça fait quoi d'être athée?"

Retour à la dure réalité, car être athée signifiait nier l'existence de Dieu, donc de ne pas vraiment croire en l'au delà. Pourtant, même si le sourire de Sothis s'effaça, ce ne fut pas pour laisser place à la tristesse mais à un visage sérieux. Il réfléchit un instant à la question et ignora l'excuse de la jeune fille en secouant la tête. Il n'y avait rien de mal à sa question même si dans le fond, elle aurait pu être blessante.

"Me demander ce que ça fait d'être athée, c'est comme si je te demandais ce que cela faisait d'être une fille. Car tout comme tu es une fille depuis ta naissance, et je suis athée depuis la mienne donc ça me parait normal..." Indiqua Sothis en fronçant les sourcils et en réfléchissant un instant.[/i]

"Je crois que les athées essaient de ne pas réfléchir à ce qui se passe après la mort mais cela ne signifie pas que nous croyons en rien, seulement, comme nous ignorons ce qui se passe après, nous préférons rester rationnels et ne pas croire en ce qui ne peut être prouvé," poursuivit Sothis.

Etait-ce vraiment une bizarrerie d'être athée? La question de Meghan lui fit soudainement ressentir cette interrogation.

"Cela te parait cela d'être athée?

Il n'y avait aucun reproche dans sa voix, seulement une interrogation car il souhaitait avoir son avis sur le sujet.
Il avait toujours vécu dans l'idée qu'il était presque normal de ne pas croire en Dieu même s'il acceptait l'idée que l'on puisse y croire. Pourtant, il aurait vraiment aimé croire en Dieu, se dire qu'il pourrait trouver un moyen de réconfort dans la foi, se dire qu'il n'était pas seul "spirituellement" même s'il n'avait pas réellement d'amis. Oui, il aurait vraiment aimé croire en tout cela, croire que son père avait rejoint un monde meilleur... Mais au fond de lui, il ne croyait pas en tout ça... Son père avait rejoint le néant de la mort, le rien... Même si une petite lueur d'espoir était apparue avec croyance de Méghan sur la réincarnation.
Pourtant, Sothis ne se sentit pas vraiment triste à cette idée, peut-être parce qu'il commençait à accepter... Ou pas, car une nouvelle larme roula le long de sa joue sans qu'il ne s'en rende compte puisque son visage gardait le même sérieux qu'auparavant.

"On peut avoir de drôles de réaction quand on est enfant,"

Meghan eut une petite moue avant de se mettre à rire doucement puis, beaucoup plus franchement.

Quant à savoir comment ils étaient arrivés à sourire à partir d'un point de départ aussi... à potentiel dépressif. Son rire fut coupé dans son élan et pourtant, pourtant il avait été bon de rire. Elle ne pouvait rejeter la faute que sur elle-même.

"On..."

Elle n'allait quand même pas dire ça.
Si?
Si.

"On m'a déjà demandé ce que ça faisait d'être une fille."

La curiosité portait sur tout, surtout sur ce qui nous était étranger. Meghan comprenait parfaitement cela. Chercher à comprendre l'autre, poser ses questions pour cerner la différence. C'était encore le seul moyen, par une sorte de transfert, d'appréhender ce que l'on aurait pu être mais que l'on était pas. Quelle autre façon d'avoir un aperçu de ce que l'on ne serait jamais? Partager les expériences étaient la meilleure manière de s'enrichir. Sa question n'avait été suscitée que par cette quête.

"C'est juste que j'ai toujours vécu dans cette certitude enseignée par ma mère. Réincarnation et tout le toutim. On a tous tendance à essayer de comprendre ce qu'on ne connaît pas. Ou à connaître ce qu'on ne comprend pas. Je ne suis plus sûre de l'ordre."

Elle s'interrompit en pleine lancée, pas très certaine de la direction dans laquelle elle partait.
La jeune fille préféra effacer ses paroles précédentes d'un geste de la main et repartir de zéro.

"C'est juste que... je suis une telle froussarde, sachant ce en quoi je crois. et je..."

La suite ne se disait pas.
Qu'elle trouvait courageux de vivre en temps qu'athée. Qu'elle avait déjà peur au moindre de ses pas. Et que de songer qu'après sa mort, il n'y aurait plus rien, qu'elle n'aurait aucun droit à l'erreur, que le moindre faux ne serait jamais un brouillon.

"Je suppose que ça fait de toi quelqu'un de plus réaliste. C'est juste que... tu n'as jamais douté?"

*Sérieux?* Pensa Sothis en affichant une mine surprise avant de sourire doucement.

Sothis n'aurait jamais songé à lui poser cette question. Non, vraiment, il ne voulait pas savoir ce que c'était d'être une fille. Il avait déjà du mal à se comprendre lui même, ce n'était pas pour aller voir ce qui se passait du côté du sexe opposé!
Tout cela lui paraissait vraiment étrange car quelle réponse pourrait-il donner si un jour on lui demandait ce que ça faisait d'être un garçon? Il aurait peu de matière pour répondre car après tout, mise à part l'anatomie, filles et garçons n'étaient pas si différents...
Ce qui creusait parfois un fossé entre les deux c'étaient les préjugés qui mettaient des différences là où il n'en existait pas... Qu'est-ce qui, par exemple, prouvait que les garçons pleuraient moins que les filles? Sothis était aujourd'hui la preuve qu'un homme pouvait se montrer sensible et victime de ses sentiments...

Si Meghan avait été élevée dans la certitude de la réincarnation, on ne pouvait pas dire le contraire en ce qui concerne l'éducation de Sothis. Car en réalité, ses parents ne lui avaient jamais parlé de cela. Il aimait se dire que c'était parce qu'ils vivaient simplement et qu'ils n'avaient pas besoin de penser à après. Mais c'était pourtant une erreur car il restait aujourd'hui démuni face à cette situation de mort. Son ignorance concernant "l'après" l'effrayait assez puisqu'il se refusait de croire entièrement à des suppositions concernant la réincarnation, même si l'idée était séduisante et rassurante.

"Tu sais, moi aussi j'ai peur d'y penser parfois. J'imagine que la mort est comme un long sommeil sans rêves duquel on ne se réveille pas. Cela parait effrayant au début, mais avons nous conscience que nous dormons? Je ne crois pas... C'est pareil après la mort, nous n'en avons pas conscience puisque nous ne sommes plus..."

Peut-être qu'il en avait trop dit car en exposant ainsi sa vision de la mort, il contredisait tout ce en quoi Meghan croyait car il venait clairement de dire qu'il n'y avait rien après... En y pensant bien, c'était vraiment effrayant de se dire qu'il n'y avait qu'un néant après la mort...

"Peut-être que tu ne devrais pas trop t'interroger sur le sujet... " Suggéra Sothis.

Mais en réalité, c'était lui qui ne souhaitait plus tellement développer cet aspect du sujet car il devait bien avouer que cela commençait à lui faire peur. D'un côté, son point de vue à lui était effrayant car c'était difficile de se dire qu'il n'y avait rien après la mort. Mais la croyance de Meghan l'était encore plus puisqu'elle signifiait qu'il y aurait quelque chose de totalement inconnue à la fin... Sothis avait peur de l'inconnu et ne souhaitait pas vraiment une nouvelle vie ou un réincarnation quand viendrait la fin... Sa propre vie était suffisante.

"Je doute constamment," avoua le Serdaigle. "Je me demande toujours si mes choix sont les bons car si je fais des erreurs, il est trop tard pour y remédier... Mais malgré le doute, je n'ai aucun regrets car je suis mon instinct, qu'il soit bon ou mauvais... Cela m'évite au moins d'être en contradiction avec moi même..."

Autrement dit, il agissait toujours de son propre chef car selon lui, il n'y avait rien de pire que de se soumettre à une quelconque autorité, qu'elle soit divine ou terrestre. Mais pourtant, il doutait car si c'était bien d'être libre de ses choix sans n'avoir aucune croyance, cela signifiait aussi qu'il se retrouvait seul, toujours seul.

"Je... je crois que la mort n'est pas effrayante tant qu'il reste quelqu'un de vivant pour se souvenir de nous," déclara-t-il dans un souffle après un court moment de réflexion.
En réalité, il se demandait souvent qui se souviendrait de lui s'il disparaissait. Le remarquerait-on? Ou peut-être qu'il ne serait qu'un nom dans un registre d'état civil, un nom qui serait rapidement oublié avec le temps...

Sans doute Meghan avait-elle trop d'imagination. Joachim, son frère, la taquinait régulièrement à ce sujet, arguant qu'à force de vivre dans un son monde à moitié imaginaire, elle finirait par perdre tous ses repères et se perdre elle-même. A moins qu'elle ne finisse complètement désillusionnée, une fois qu'elle aurait pris conscience de la réalité, tellement cette réalité était éloignée de celles qu'elle se créait. Ca n'était bien sûr qu'un fraternel, assez éloigné de la vérité, de son propre point de vue. Et, de toute façon, là n'était pas la question.

Sans doute Meghan avait-elle trop d'imagination. Mais simplement parce qu'à la narration de la mort telle que la voyait Sothis, la jeune fille oublia un instant ses propres convictions et leur aspect réconfortant, pour se perdre dans l'après-vie comme elle ne l'avait jamais pensé. Un rêve sans fin. Après tout, on parlait bien de "dernier sommeil". Les êtres humains n'avaient pas conscience de dormir, disait-il, mais elle avait envie d'arguer que certains avaient conscience de rêver. Sauf qu'un sommeil sans rêve était bien ce qu'il était: une période de repos exempte d'images.
Dans ce cas, avait-on conscience d'y glisser, dans cet intermède de torpeur? Ou bien, comme pour une sieste, y avait-il une sorte de transition où la conscience laissait doucement place à une inactivité bienheureuse? Il s'agissait là d'une autre de ses craintes paradoxales. Elle craignait par-dessus d'avoir conscience, au jour de sa mort, d'être en train de partir vers un terrain inconnu. Mais, parallèlement, il y avait cette angoisse de quitter le monde sans même sans rendre compte, sans un adieu, sans un sourire, sans une parole. Se coucher un soir pour ne plus jamais se réveiller.

Le "Peut-être que tu ne devrais pas trop t'interroger sur le sujet... " de Sothis lui ramena un léger sourire.

'S'il savait...'

Elle s'interrogeait trop, c'était peut-être ça son véritable problème, une tendance à l'introspection en laissant la vie lui passer sous le nez sans vraiment oser y toucher. Il lui semblait, pourtant, qu'à une époque pas si reculée, elle avait succombé à la tentation d'y goûter.

"Je doute aussi. Beaucoup. Trop."

Là encore, ses lèvres s'arquèrent en un fin sourire.

"Sauf que je collectionne les regrets."

Tout ce qu'elle aurait faire, dire et oser. Tout ce pour quoi il était trop tard dès que le présent devenait passé, à chaque seconde de trop.

"Ca ne t'arrive jamais, après coup, de penser à tout ce que tu aurais voulu faire à un moment donné et auquel tu n'avais pas pensé ou que tu n'as pas réussi à oser? Moi, ça m'arrive tout le temps."

Il y avait une pointe de reproche adressé à elle-même dans la tonalité de sa voix, bien qu'elle s'efforçât de la gommer.
Là-dessus, le jeune homme revint sur le sujet et Meghan s'empressa d'y répondre:

"C'est une belle façon de voir les choses. Tu continuerais à vivre dans le souvenir des autres. Subsister dans la mémoire. D'une certaine manière, il y aura toujours une part de nous dans le monde, même si elle devient de plus en plus infime...
Tu..."

Une brève interruption, qui ne fut brève que parce qu'elle se sentait plus à l'aise avec Sothis qu'elle ne l'avait été avec quelqu'un depuis longtemps...

"Ca... ça t'est déjà arrivé, de penser à ce que serait la réaction des gens le jour où tu mourrais? Quels seraient ceux qui te pleureraient? Qui viendraient à ton enterrement? Qui..."

"Ca ne t'arrive jamais, après coup, de penser à tout ce que tu aurais voulu faire à un moment donné et auquel tu n'avais pas pensé ou que tu n'as pas réussi à oser? Moi, ça m'arrive tout le temps."

Sothis se mordit une nouvelle fois la lèvre par nervosité. Après tout contrairement à ce qu'il avait dit auparavant, lui aussi semblait avoir des regrets, la preuve était qu'il se sentait nerveux... Ce n'était peut-être pas le regret d'avoir fait telle ou telle chose, mais plutôt de ne pas avoir fait... Il regrettait de ne pas avoir dit à son père adoptif qu'il l'aimait, il regrettait de ne pas avoir passé plus de temps avec lui, il regrettait de ne pas être une bonne personne... Cela faisait beaucoup de regrets pour une personne qui affirmait n'en avoir aucun. Mais comme l'un des principaux défauts de Sothis était son incapacité de s'avouer les choses douloureuses, il ne s'en rendait compte que maintenant. C'est vrai qu'il y a des tas de choses qu'il aurait aimé faire et qu'il n'avait pas fait. Pourquoi en fait?

"Je crois que c'est la malédiction des timides: ne pas oser. Mais on ne doit pas s'en vouloir de ne pas avoir fait telle ou telle chose. Enfin je crois..." Répondit Sothis en baissant légèrement la tête.

*Peut-être qu'il m'en voulait de ne pas lui avoir dit...*

Si Sothis n'avait pas répondu précisément à la question, c'était bien volontaire car tant de contradictions de lui même était insoutenable pour lui.

"C'est une belle façon de voir les choses. Tu continuerais à vivre dans le souvenir des autres. Subsister dans la mémoire. D'une certaine manière, il y aura toujours une part de nous dans le monde, même si elle devient de plus en plus infime...
Tu..."

Sothis ponctua les paroles de la jeune fille d'un sourire sans joie. Car si c'était beau à entendre cela laissait un goût amère dans la bouche du Serdaigle. C'est alors qu'elle lui posa LA question qui faisait tant de mal.

"Oui, j'y pense parfois."

*Souvent en fait..*

"Et honnêtement, ça me fait plus de mal que de bien. Ceux qui me pleureraient se comptent sur les doigts d'une main et à part ma mère je ne vois pas trop... Je crois qu'en fait, je fais parti de ceux qui suscitent l'indifférence, celui qu'on croise mais dont on ne se souvient jamais du nom. Alors à la question de qui viendrait à mon enterrement, la réponse ne peut être que courte sauf si on compte les arrières tantes éloignées qu'on ne connait pas mais qu'on croise dans les évènements comme les mariages, les enterrements..." Dit-il d'un ton plat mais en ponctuant ses dernières paroles par un sourire. " En tout cas, je ne blâme personne, après tout, je n'ai jamais rien fait pour me rapprocher des autres," conclut-il.

" Mais si tu me poses cette question, c'est parce que tu y penses aussi, je me trompe?" Demanda-t-il alors.

Quel que soit le sens dans lequel elle tournait la phrase du jeune homme, Meghan savait qu'il s'y trouvait une faille, sans parvenir à la repérer. Effectivement, personne ne devrait s'en vouloir de ne pas avoir osé. Seulement, elle, s'en voulait à chaque fois, à coup de 'Tu aurais tellement mieux fait de faire ça.' et autres 'Regarde où tu en est maintenant, si seulement tu avais...'. On disait bien que si les regrets pouvaient être des hiboux, le ciel deviendrait sombre et le soleil invisible. Ca ne l'empêchait pas de recommencer à chaque fois. Et quelque chose lui disait que Sothis était sensiblement dans la même situation.
Il y avait des fois où savoir qu'on partageait le même sort (malédiction serait sans doute un terme plus opportun) que quelqu'un d'autre était un soulagement. Ce n'était pas le cas dans la situation présente. Elle aurait tout donné pour se savoir la seule de cette catégorie bizarre qui souhaite mais ne fait pas. En souffrir était déjà pénible. Savoir que d'autres en souffraient devenait insupportable. D'autant plus qu'elle ne pouvait rien y faire. Elle ne savait que trop combien les conseils et encouragements étaient vains. Réconfortants mais vains.

Elle se tut néanmoins, peut-être par peur d'envenimer le sujet. Peut-être y reviendraient-ils, plus tard. Ou peut-être regretterait-elle son silence, une fois de plus.
C'est là-dessus qu'elle prit conscience que depuis sa rencontre officielle avec le Serdaigle, elle n'avait pas encore réellement ressenti le pincement du regret. Soulagement étrange.

Les paroles de Sothis semblèrent faire écho à quelque chose qui se passait en elle, à un plan plus subtil que les pensées qui affleuraient précédemment. Peut-être le fait de se découvrir encore un point commun.

"Je suis un peu pareille. Je crois que je pleurerais des gens qui, eux, ne me pleureraient pas."

Ils étaient tellement nombreux, ceux qui lui creuseraient un trou dans la poitrine en disparaissant de la surface terrestre.

"Oui, j'y pense."

Comme s'il avait eu besoin d'une telle confirmation.

"J'y pense à en fuir le sommeil. Je ne les crois pas si nombreux, ceux qui me pleureraient."

Mentalement, elle dressa une liste. Ses parents et Joaquim. Les M.E.L.T. sans doute, du moins l'espérait-elle. Elle n'osa pas penser à Shawn.
Cela faisait tout de même un effectif assez restreint.

"A moi, tu manquerais."

Elle se tut soudain, gênée de cet aveu qu'elle n'avait pas vu venir et qui n'en était pas moins vrai. Gênée qu'il n'interprète mal ses dires. Gênée qu'il ne les interprète correctement.

Tout cela semblait tellement contradictoire dans l'esprit de Sothis! Car même s'il pensait qu'il ne fallait pas s'en vouloir de ne pas oser, il y avait toujours la culpabilité qui pointait son nez et l'assaillait avec son: "Si tu n'étais pas aussi timide, aussi renfermé aussi...(la liste est longue!) tu aurais pu faire ça..." Alors même si ce n'était pas de sa faute s'il était ainsi, il y avait toujours la possibilité de changer... Mais les conséquences d'un tel changement seraient aussi des regrets... Mais des regrets bien différents... Mais de toute façon, dans le cas de Sothis, il était impossible de changer, il ne voulait d'ailleurs pas changer ce qu'il était.

"Je crois qu'au fond, on a tous tendance à croire que notre mort passerait inaperçue... Mais peut-être que ce ne serait pas le cas," déclara Sothis en grimaçant légèrement, peu convaincu.

Évidement, celui ou celle qui avait plein d'amis pouvait être certain qu'on serait touché par leur mort. Mais les gens comme lui, ou peut-être comme Meghan aussi, bref, ceux qui pouvaient compter leurs proches sur les doigts seraient-ils oubliés plus vite que les autres une fois le deuil passé?

Face aux dernières paroles de Meghan, Sothis se sentit mal à l'aise. Dans toute sa vie, il ne se souvenait pas qu'un jour on lui ait dit "A moi, tu manquerait". Le pensait-elle vraiment? Disait-elle cela uniquement pour lui faire "plaisir"? Mais en même temps, le Serdaigle n'avait pas insinuer qu'il voulait entendre cela, et à vrai dire, il préférait ne rien entendre plutôt qu'une chose qui n'était pas sincère. Son côté légèrement aigri le poussait à répondre quelque chose de froid, du genre "tu n'es pas obligée de dire ça si tu ne le penses pas". Cela aurait été une façon de se proteger. Mais au point où il en était, il n'avait plus rien à défendre puisqu'elle l'avait vu sans son masque d'indifférence.

"C'est gentil. Merci."

C'était le mieux qu'il pouvait dire, sans balbutier, sans rougir (quoique, si on regardait bien, ses joues étaient légèrement rosées. Il s'empressa alors de les cacher avec ses cheveux, d'un geste naturel.).

"Je crois qu'à moi aussi, tu manquerais. Je ne te connais pas beaucoup mais j'apprécie ta compagnie," avoua-t-il sans la regarder. Un peu embarrassé par ses paroles, il joua nerveusement avec le coin de son livre. Il se trouva alors stupide, lui qui n'avait pas tellement l'habitude d'apprécier les gens! Il espéra qu'elle ne se moque pas de lui.

'Tous?'

Tous?
Peut-être.
mais du point de vue de Meghan, rien n'était moins sûr. Comment une Eden ou une Ellys pourraient-elles douter à ce point d'être aimées? La réponse était simple: elles ne pouvaient pas. Leur entourage transpirait l'amour par tous les pores. Elles ne faisaient peut-être pas l'unanimité mais...
Mais comment croire que des filles comme elles puissent être en proie à un doute perpétuel? Non. Ca, c'était une fable que les timides, les réservés se racontaient, pour se rassurer. En aucun cas, elle ne pouvait jeter la pierre à Sothis. On essayait tous de se réconforter comme on pouvait.
Meghan eut juste un petit sourire "j'y crois... mais pas vraiment". C'était le mieux qu'elle puisse faire.

Aux remerciements de Sothis, son malaise fut loin de s'alléger. Très très loin de là.
Elle n'avait pas dit ça pour être "gentille" ou "aimable" ou "sociable". Elle les avait dit, ces quelques mots, parce que c'était la seule vérité qui lui était venue à l'esprit.
Pourtant, Meghan sentit que cela aussi, Sothis l'avait compris.
Elle en eut la preuve quelques instants plus tard quand lui aussi fit sa déclaration.
C'était étrange, cette petite expression, "faire sa déclaration". On y associait toujours une bonne dose d'amour et de sensiblerie dégoulinante. Alors qu'il y avait tellement de façon de se "déclarer". Et les mots du Serdaigle, c'était une façon de dire qu'un peu de temps avec elle n'était pas du temps perdu. C'était terrible de faire perdre leur temps aux gens.
Alors, parce qu'aucun mot ne lui venait - du moins, aucun qui ne vaille le coup d'être dit-, la Gryffondor lui offrit son plus beau sourire, gêne et remerciement mêlés.

Sa montre sonna quelques coups, brisant l'instant. Il faudrait qu'elle l'oublie, cette montre, un de ces matins. Seulement, il était l'heure.
A contre-coeur, Meghan se leva doucement, tendant une main à Sothis pour qu'il en fasse autant. Peut-être lui aussi avait-il reconnu l'heure de couvre-feu qui avançait à grands pas. Le temps pouvait passer si vite, parfois.
Les lèvres étirées dans un nouveau sourire, plus timide, Meghan réajusta la lanière de son sac sur son épaule avant d'affronter le regard du Serdaigle. Un pas en avant, deux pas. Et voilà qu'ils marchaient côte-à-côte, dans un silence qui n'était ni gênant ni forcé. Un beau silence que la jeune fille brisa:

"Sothis?"

Le silence est difficile à battre.

"Je... j'aimerais bien qu'on se revoit."

Le sous-entendu était clair: les cours ne comptaient pas.

"Tu aurais du temps, la semaine prochaine...?"

Même heure, même endroit?

Sothis était mal à l'aise. Pourtant, ce n'était pas comme s'il s'agissait d'une déclaration amoureuse! Seulement de l'amitié, oui, c'est ça: amitié. C'était sans doute pour cela qu'il était embarrassé car il n'avait franchement pas l'habitude d'être assez proche de quelqu'un pour le considérer comme ami. Mais Meghan avec toute les caractéristiques "théoriques" d'une amie: elle ne s'était pas moquée de lui quand il s'est mis à pleurer et l'avait même réconforté! En plus, elle a réussi à le faire sourire, ce qui n'était pas courant chez le jeune homme. Mais ce que Sothis avait le plus apprécié était d'avoir pu discuter de choses et d'autres avec Meghan avec intelligence et respect de chaque point de vue. Finalement, c'était plutôt interessant de savoir ce que les autres pensent et ne pas se limiter à son propre avis ou bien ce qu'on lit dans les livres...

Sothis offrit à son tour un sourire à la Gryffondor. Ce n'était pas un immense sourire mais c'était tout de même sincère.
Quand la montre de Meghan se mit à sonner, Sothis consulta la sienne et constata qu'il était bientôt l'heure du couvre feu. Il n'avait aucune envie de recevoir une autre heure de retenue de Gardens, surtout qu'il n'en conservait pas un bon souvenir. Bon, c'était vrai qu'il l'avait cherché en loupant les cours une matinée. Mais bon, ce n'était pas comme s'il ne connaissait pas le programme scolaire! Après tout, c'était sa seconde septième année! Mais ce rappel à l'ordre était plutôt une bonne chose au final pour le remettre dans le droit chemin de Rowena. Ou plutôt pour ne plus retourner dans celui de Gardens! Ce serait sa première et dernière retenue! Car même si Sothis adorait lire, en revanche il avait détesté résumer un ouvrage.

Spoiler:

Quand Meghan lui tendit la main, Sothis la saisit sans réfléchir et se leva à son tour. Le Serdaigle n'avait pas pris de sac mais seulement son livre et ses lettres qu'il fourra dans sa poche dans un froissement sonore.
Naturellement, il marcha à côté de Meghan comme s'il avait toujours fait ainsi. Ils quittèrent alors la salle de classe vide dans un silence total. Mais ce n'était pas gênant, c'était un silence positif.
Quand elle prononça son prénom, Sothis tourna doucement la tête vers elle et la regarda dans les yeux quelques secondes (quelque chose qu'il ne faisait que rarement puisqu'il avait tendance à baisser la tête devant les autres). Il acquiesça alors aux paroles de la jeune fille. Bien sûr qu'il voulait bien la revoir lui aussi! Pourtant, il montra moins d'enthousiasme dans sa réponse que ce qu'il pensait réellement. Vieux réflexe.

"Oui, bien sûr," déclara Sothis en esquissant un léger sourire."Ça me ferait plaisir," Ajouta-t-il timidement.

"On peut se rejoindre dans la même salle la semaine prochaine, à la même heure?" Demanda Sothis en ne remarquant pas tout de suite qu'ils arrivaient à l'intersection qui les séparaient. Après avoir failli manquer son couloir, le Serdaigle s'arrêta brusquement et se tourna vers Meghan.

"Moi je vais par là... Alors à plus tard!" Fit Sothis avant de s'engager dans le couloir. Il se retourna alors pour adresser un signe de main amical à la Gryffondor.

Finalement, la mort n'est pas si terrible quand on n'est pas seul... Avoir partager celle de son père avec Meghan ne rendait pas la peine moins importante mais lui permettait de se sentir moins seul dans cette épreuve. Peut-être que le deuil serait moins difficile que prévu? Sothis ne le savait pas mais il était sûr d'une chose: il attendrait la semaine d'après avec impatience car il venait de réaliser que c'était plutôt plaisant de partager son point de vue sur certains sujets, et de discuter tout simplement...

Désolé pour le "spoiler" mais il fallait que j'introduise la retenue que j'ai reçu de M. Gardens. Razz