Je m'ennuie [libre]

Et tombe nez à nez avec Toni Scheffer, emmitouflée dans son épaisse écharpe bleue et tricotée par maman Scheffer elle-même, le seul élément de sa tenue qui signale clairement qu’il ne fait plus si chaud que ça en cette époque. Pour le reste, elle porte sa robe de sorcier ouverte par-dessus une autre robe bien trop printanière et légère pour la saison. C’est sa façon à elle de se faire croire que l’été n’est pas si loin derrière. Toutefois, en sortant du Lac, elle avait commencé à regretter son choix vestimentaire et s’était réfugiée dans la Serre dont la température ambiante était bien plus agréable. Le temps de se réchauffer, elle avait décidé de se promener dans les allées verdoyantes où cette joyeuse nature lui paraissait parfois plus vivante que certains de ses camarades. Ses cheveux étaient encore mouillés. Elle sortirait d’ici quand ils seraient secs. Elle n’utiliserait pas sa baguette pour cela. C’était comme un rituel d’après ses longues brasses : on sèche normalement, l’eau n’est pas un ennemi. En attendant, il fallait tuer le temps.

Elle s’était mise à chantonner. Se sachant seule pour avoir fait un rapide tour de l’endroit, Toni se laissa glisser dans une sorte de délire. Elle le faisait aussi parfois devant sa glace (pas aux dortoirs sinon on la prendrait pour folle) avec une brosse à cheveux ou un tube de dentifrice pour micro imaginaire.

Dans le bruit qu’elle générait, elle n’avait pas entendu Shawn entrer. Ses joues prirent instinctivement une couleur pourpre et elle se remercia elle-même d’avoir arrêté de chanter bien avant qu’il n’entre.

Comment c’aurait été la honte !

Du moins, espérait-elle qu’il ne soit pas entré dans la serre trop longtemps avant qu’elle ne l’ait vu.

Gros moment de doute et de solitude...
Elle était vraiment la chef pour faire choper en train de parler seule, de danser, de chanter ou de faire quelque chose de ridicule avant de se faire surprendre.

Bah tant pis !

Elle retrouva un peu de contenance dans le silence étonné et la latence qu’il y eut à cause de la surprise de se retrouver face à quelqu’un.

Toujours face au visiteur, elle secoua la tête comme si de rien était et ses cheveux retombèrent en fines mèches humides autour de son visage. Elle retrouva une position immobile, haussa un sourcil interrogateur un peu clownesque et sourit un brin moqueuse pour assouplir l’atmosphère avant qu’elle ne se fige:

- Bienvenue chez les fous ! Vous arrivez après le spectacle, m’sieur, désolée !

Un rappel ? Il voulait dire un suicide volontaire, ouais ! Oh ! Non ! Toni ne va pas tendre intentionnellement la perche à quelqu’un pour se moquer d’elle... Hou, en plus, elle remarque à peine maintenant qu’il appartient à la maison de Serpentard. Il y avait toujours de l’eau dans le gaz entre les Rouges et les Verts.

Tant qu’il ne me fait rien, je ne fais rien, se promit-elle en gardant le sourire.

- Tu viens de rater un super spectacle, aussi comique que grotesque, de danse et de chant, très motivé par l’ennui mortel d’attendre au chaud que mes cheveux sèchent. Pas de rappel, c’était un happening. Désolée, repassez la semaine prochaine, les guichets sont fermés !

Elle ne s’en tire pas si mal, songe-t-elle en l’avisant avec son intarissable sourire. Elle a réussi à lui livrer la raison pour laquelle elle ne le referait pas sans l’insulter en remettant en cause sa présence ici et à deviner qu’il ne l’avait pas surpris dans une situation saugrenue. Quel sens de la diplomatie et de l’observation... elle se donnerait presque une médaille pour la peine.

Comme ceci était fait et qu’elle pensait l’affaire close, il ne lui restait qu’une petite formalité pour éviter l’alourdissement de l’atmosphère. Toni n’aimait pas les silences pesants ou les blancs de conversation. Elle ne comprenait pas comment deux être humains pouvaient en arriver à ne pas savoir quoi se dire avec tout ce qui se passait toujours autour. Elle était ce genre de personne qui rebondit sur tout, qui n’hésitent pas à rompre les situations délicates avec habileté pour remettre les choses en marche quand tout s’arrête ou à engager des petites discussions « abribus », comme elle les appelait, pour faire passer le temps plus vite. C’est vrai quoi ! Ils sont maintenant comme deux ronds de citrouille dans un lieu difficilement partageable. Ils n’allaient pas faire comme s’ils ne s’étaient pas vus, elle n’allait pas faire comme si elle avait envie de sortir pour céder généreusement la place, elle ne lui cèderait rien du tout, elle était là la première.

La formalité était donc de savoir : et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Est-il si Vert que ça va finir en pugilat ? Est-elle si Rouge que son arrogance le provoquera ? Sont-ils si pris d’ennui l’un et l’autre qu’un Vert et une Rouge conviendrait parfaitement pour l’occasion ?

- Et toi ? Si tu ne venais pas pour le spectacle, tu venais pour quoi ?

Attachée aux points de sa maison ? Lesquels ? Les deux minables points qu’elle avait fait gagner en septembre en aidant une première année à retrouver le chemin des toilettes des filles ? Un professeur lambda l’avait rétribué pour cet acte qu’il considérait substantiel. Notons que l’élève était de Serpentard. Toni ne voyait pas pourquoi les Serpentard de onze ans n’avaient pas le droit d’aller aux toilettes comme les autres... sans se perdre, qui plus est. Faire pipi n’avait rien à voir avec la couleur d’un blason quand même ! Elle n’avait pas compris qu’on la gratifie pour une chose pareille. Alors, elle ne tenait pas particulièrement à ces points. Quant à ceux gagnés par les autres... cas de conscience...

Ben, se décida-t-elle, il me suffira de montrer le chemin des toilettes à autant d’élèves de première année qu’il faudra pour rattraper les pertes

Très satisfaite de son raisonnement, elle afficha une mine exagérément déconcertée à Shawn. Bien entendu qu’elle voulait savoir ce qu’il avait prévu de faire ! Elle ne disait pas qu’elle irait jusqu’à l’aider (tout dépendait de la gravité de la bêtise) mais maintenant qu’elle était mise au courant, elle imaginait mal comment faire pour passer son chemin sans savoir :

- Je m’appelle Toni, lui répondit-elle avec la même mine, et je ne suis pas une froussarde ni une rapporteuse.

Elle ne courait pas vers le filet de pêche tendu par le Serpentard, elle s’y installait ! Elle ne saisissait pas la perche, elle s’y cramponnait en toute conscience. Il l’attirait en chatouillant son orgueil et ça marchait remarquablement bien.

- Alors, maintenant, sourit-elle en s’approchant de lui pour conclure le pacte d'un serrage de mains, j’échange un spectacle de chant contre ton « affaire »... ça me rend curieuse. Et je suis encore plus curieuse de savoir ce que peut devenir la « collaboration » d’un Serpentard et d’une Gryffondor dans un cas de légitime coup foireux... Bref, enchantée, Shawn !

- Non, ça ne marche pas, objecta Toni en suivant malgré tout le Serpentard. Je veux savoir ce que sont ces "affaires". Si je ne connais pas tous les détails, ce n’est pas une collaboration...

Pour se vendre un peu et lui prouver qu’il passerait à côté d’une bonne partenaire s’il ne lui partageait pas toutes les infos requises, elle répondit néanmoins à sa question :

- En potion, l’achillée est principalement reconnue pour ses vertus actives dans la composition des filtres d’embrouille et de confusion. Elle possède des fleurs blanches, c’est une plante hermaphrodite autogame. En botanique, on l’appelle aussi bouton d'argent, herbe à éternuer ou cranson officinal. Elle provoque des allergies... les frères Weasley s’en étaient servis de base pour créer de la poudre à éternuer.

Toni s’arrêta le sourire aux lèvres et passa devant Shawn avec morgue pour lui bloquer le passage ves le reste de la réserve.

Les mains sur la taille et le menton haut, elle le confronta du regard (plus espiègle que réellement récalcitrante) :

- Alors Shawn ? je veux bien être troll mais pas totalement stupide... C’est quoi ton affaire ?

Toni saisit la fleur qu’on lui tendait. Loin d’être charmée, elle ne se trouvait qu’étonnée. Ce n’était pas qu’elle n’avait pas confiance dans la débrouillardise des Serpentard mais apprendre que l’un d’eux se proposait d’être le dealeur de chaussettes de Merlin avait de quoi la laisser étourdie. Shawn avait l’air de se vanter de pouvoir tout trouver. Cela devait aller au-delà de la garde robe du renommé magicien. Le Serpentard était le Géo trouve-tout de Poudlard. N’étant pas certaine qu’il apprécierait d’être comparé à un oiseau de cartoon ni même qu’il connaitrait éventuellement Géo Trouve-tout, Toni garda sa réflexion pour elle.

Elle mit la fleur dans ses cheveux humides et suivit calmement Shawn en observant son maniérisme saupoudré d’assurance. Le détail captiva plus Toni que la fleur écarlate à la couleur de son blason. N’empêche qu’elle le remercia en se montrant plus affable que ce que cela ne la toucha réellement.

En tout cas, elle savait ce que trafiquait le Vert et sa curiosité était comblée. Comme convenu, elle l’aiderait à trouver la plante qu’il cherchait. Ses yeux parcouraient les étales, les carrés de verdure et les différents bosquets à la recherche de l’Achillée. Ce faisant, elle discutait en l’interpellant à travers les rayonnages :

- Dis-moi Shawn, quel type de choses te demande-t-on de trouver ? Toujours des trucs illicites ?... tu dois prendre cher en échange... supposa-t-elle.

La question n’était pas innocente et la Gryffondor avait bien une idée derrière la tête. Néanmoins, elle voulait d’abord apprécier les talents de négociateur du dealeur de chaussettes et la hauteur de ses prix. Ensuite, elle essaierait probablement de le tester en lui listant des objets plus ou moins farfelus pour savoir s’il se sentait capable de les trouver, glissant subrepticement dans la liste la chose qu’elle aimerait réellement lui demander de dégoter.

Si le prix à payer est trop cher, je ferai autrement...

Parallèlement à sa question, elle trouva un grand bac en bois où poussaient des achillées :

- Viens, j’ai trouvé !

"Est-ce que j'ai vraiment envie de me lancer dans la complicité d'un négoce douteux ?" demandait Toni en entendant Shawn s'exclamer que ça allait plus vite avec elle pour trouver les bonnes plantes.

Dans le fond, oui. Une partie d'elle trouverait foncièrement distrayant de s'occuper à trouver des choses introuvables. C'était un peu comme le Bureau du Tout-est-possible. Les gens devaient tous êtres emplis de gratitude pour les trouvailles que Shawn parvenait à leur apporter.

En tout cas, elle ne voulait pas en savoir plus car si, par malheur, elle apprenait qu'il fournissait des artéfacts dangereux et illégaux genre magie noire, ça ne l'amuserait plus. C'était sot mais elle préférait se voiler la face et laisser une partie de son mystère à Shawn.

Il y avait toujours moyens de s'arranger avec quelqu'un qui s'y connaissait autant en plante. Peut-être qu'elle pouvait saisir la perche implicite et signer comme un contrat moral de courte durée au lieu de risquer plus pour ce qu'elle voulait lui demander.

Toni se tenait agenouillée près d'un pied d'Achillée. Elle trouvait que c'était le plus beau et que ses fleurs étaient mures. Elle entreprit de le déterrer avec une petite pelle qui était à moitié enfoncé dans un pot de terre à côté. Tout en transférant la plante dans le pot, elle sourit et demanda comme elle l'avait prévu :

- Alors, si je t'aidais à trouver les plantes ou mieux que les plantes qu'on te demande de trouver, en échange, sans que je sorte un gallion de ma poche, tu pourrais trouver, je sais pas, moi, un coffre à ouverture par baguette unique ? Un tutu pour troll ? Un GSM qui fonctionne à Poudlard ? Une formule de métamorphosis ? De l'herbe à hallucinations vocales ? Les souliers d'argent de Dorothy ? Un chien qui parle ? Une aiguille dans une botte de foin ?...

Voilà, sa demande était lancée et elle riait du nombre de choses imbéciles que contenait sa liste.

Son rire cessa subitement. Elle venait de terminer d'empoter la plante. Elle s'était tournée vers Shawn et son regard, pour la première fois, était égal à celui du Serpentard dans le mystère et la détermination. Ses yeux semblaient lui dire : "trouve ce que je veux vraiment... et admets qu'il te sera impossible de me l'apporter."

- Tu pourrais trouver un de ces trucs-là ?

Y en a qui m’aurait demandé une plume auto correctrice non détectable pendant les examens, un produit contre l’acné qui ne vous pulvérise pas l’épiderme ou encore un filtre d’amour super puissant à la durée extrêmement longue… enfin, le genre de truc que les filles demandent d’habitude. Sauf que mon lutin, ce qu’il veut c’est…

« Rien que ça ? »

Il s’arme d’un sourire amusé et peut être un peu plus circonspect qu’à l’ordinaire.

Les souliers de qui ?

Histoire de gagner un peu de temps, il récupère la plante tantôt déterrée aux allures de pendeloque verdoyante.
Le coffre à ouverture par baguette unique… intéressant. On a peut être des choses à mettre en lieu sur chez les Rouges. Habituellement, il essaie de ne pas trop se poser de question quant à l’usage que font les autres de ce qu’il fournit. Après tout chacun sa conscience non ? Seulement maintenant, il sait à qui faire confiance, de qui se méfier et qui éviter de fréquenter.

L’art et ma manière de s’en sortir en affaire : Ne pas (trop) se mouiller, même si on meurt d’envie de se jeter à l’eau.
Il acquiesce d’un air qui se veut sérieux. Toni a les cartes à mains, à lui de ne pas gaspiller son atout. A la bataille explosive, précipitation et trop grande confiance ne font pas bon ménage. Même quand c’est tentant.

« En effet je peux te procurer un de ces trucs-là. »

Il joue volontairement sur les mots. Finalement elle n’est peut-être pas si différente de lui la petite Toni.
Un petit coup d’œil aux yeux de la rouge attise sa curiosité.

« Je suppose qu’on laisse tomber le tutu… » Ajoute-t-il d’un air nonchalant tout en se dirigeant vers la serre suivante.

Il pousse la porte sans ménagement et jette un rapide coup d’œil pour s’assurer qu’ici non plus, aucun cafard ne viendra pourrir la récolte.

« J’ai besoin de pus de bubobulb, lance-t-il en enfilant une paire de gants trainant sur la paillasse, tu me files un coup de main puis on s’atèle à tes secrets ? »

Il joue sur les mots mais Toni est du genre entêtée et elle a son idée bien enfoncée dans le crâne. La barre au Nord, le petit guet dans son esprit a la main posée en cache au-dessus des yeux et regarde au loin s'il y a le moindre obstacle entre elle et son but. Ce n'est pas un jeu de mot qui va la faire couler. Alors, elle rebondit dessus pour franchir l'obstacle :

- Un de ces trucs ? Tu n'es pas généreux Je te signale qu'en plus d'avoir gagné la meilleure assistante botaniste de quatrième année de Gryffondor chez les Scheffer, tu as le droit à un spectacle de danse... tu pourrais allonger le tutu, non ? Juste pour voir ça...

Elle lui fit un clin d'œil et lui emboîta le pas vers le sens opposé de l'endroit où se trouvaient les bulbobubs :

"Quand même... les bulbobubs ils étaient à l'entrée. Programme de première année. Comment il a fait pour ne pas les voir ? Comment il ferait si on lui demandait un asyliym gatillinicanius profofilis ? Géo-Trouve-Tout a vraiment besoin d'une assistante... "

Mais elle voulait profiter du détour qu'elle allait lui faire prendre pour revenir à la case départ afin de relancer le sujet sur leur futur commerce avec un peu plus d'atouts en main, à savoir, qu'il aurait besoin d'elle plus d'une fois.

Sur le chemin, elle chantonne en sautillant, caresse les fleurs qui babillent et écarte celles qui essayent d'entourer sa taille pour la capturer. Elle se dépêtre en souriant ou à coup de baguette et les envoie balader vers Shawn pour l'ennuyer.

Enfin, ils arrivèrent près de l'établi de bulbobulbs qui se tenait tout près des paillasses de cours de l'entrée. Le matériel oublié par certains élèves était encore là, gisant sur les tables, et quelques plantes souffraient de solitude dans des pots où elles n'étaient qu'à moitié déterrées. Toni s'attela à la tache de sauver les plantes à demi-sdf en continuant de discuter avec Shawn :

- Un spectacle de claquettes PLUS une fille discrète et débrouillarde PLUS l'assurance que personne d'autre que moi ne pourra plus te prendre pour un double scroutt en te faisant faire le tour de la Serre pour trouver ce que tu avais déjà sous ton nez, ça vaut bien deux demandes.

Elle sourit en se retournant vers lui. Elle n'avait pas été élevée dans une famille de bourgeois sans en hériter des meilleures valeurs: bagou, séduction et manipulation. Elle retire de ses cheveux la fleur que Shawn lui a offerte et la lui tend en retour :

- Pour m'excuser du tour de manège.

Elle reprit son activité près de la paillasse en allant chercher un des plants de bulbobulb dont elle commença à extraire le pus après avoir enfilé une paire de gants qui traînait :

- Ecoute bien ça, dit-elle néanmoins concentrée sur sa plante en attendant que Shawn lui tende les outils nécessaires (quand ce n'était pas les bons, elle allait les prendre elle-même sans souligner la méprise et continuait de parler), peux-tu me trouver une formule, un objet ou une potion métamorphosis pour se transformer sans danger, sans effets secondaires insupportables,. Quelque chose qui soit renouvelable sur le long terme et dont la propriété serait de me rendre méconnaissable tout en me permettant de retrouver mon aspect originel quand je le veux ? En somme, il me faut la potion et son antidote à utiliser à foison dans les deux sens. Toni vers Toni bis, et Toni bis vers Toni.

Il avait dit une semaine.

Elle ne savait pas s’il fallait le croire mais elle avait envie. Elle l’attendait dans la serre à la date et à l’heure qu’ils avaient convenues tous les deux une semaine auparavant. 20h30, le ventre plein, dans le fond de la serre, allée des plantes toxiques. Toni était arrivée la première. Elle avait substitué sa robe à carreau et son écharpe maman Scheffer à une paire de jeans baggy aussi large que son débardeur rouge superposé à son t-shirt mauve étaient moulant. Elle ne portait pas sa robe de sorcier mais un gilet zip ouvert en coton blanc avec dans le dos la marque de son équipe de basketball préférée : Plymouth Raiders.

Mais pareillement que le jour de leur première rencontre dans ce lieu, Toni avait les cheveux mouillés. Elle était allée nagée juste après le repas où elle n’avait consommé qu’une soupe d'asperges et un morceau de fouace aux olives.

Elle attendait assise sur une chaise qu’elle avait déplacée jusqu’ici. La serre était éteinte pour ne pas attirer les curieux. Elle essayait de percer les ombres et les lumières qui dansaient dans le décor, s’amusant à perdre son temps en attendant Shawn.

Elle entendit soudain un bruit mais décida de ne pas signaler sa présence tant qu’elle n’était pas sûre que c’était lui. Elle n’eut pas tord... un couple d’amoureux s’avança vers elle en se pelotant et en s’abreuvant de caprices amoureux. La Gryffondor sauta dans le premier buisson et se cacha en maugréant :

- C’est pas possible...

Et les autres cessant un instant leur activité lubrique :

- T’as entendu ? demanda la fille.
- Non... qu’est-ce qu’il y a ? fit le garçon qui préférait ne rien entendre plutôt que d’arrêter là le batifolage.
- J’ai entendu un bruit...
- C’est rien, c’est les plantes...

Ils s’embrassèrent passionnément en prenant une étale pour support... Toni blêmit.

Le couple s’arrêta encore :

- Tu as entendu cette fois ?! demanda la fille.

Une porte venait de couiner. Même Toni l’avait entendu et elle savait que ça devait être Shawn.

- Non, j’ai rien entendu, mentit certainement le garçon en retournant aux baisers passionnés.

Il n’eut besoin que d’une caresse pour convaincre à nouveau la fille.

"Ils sont pas croyables !"

Dans les feuillages à côté d'elle, la Gryffondor entendit des pas arriver... elle espérait vraiment que cette fois c'était bien Shawn.

Toni refoula un rire derrière sa main. Elle s’approcha de Shawn pour chuchoter à son oreille :

- Pas envie de pop corn. C’est pas le genre de film devant lequel je prends du plaisir. Tu as trouvé mon... enfin... ce que tu m’avais promis ? demanda-t-elle pour aller droit au but.

Tout à coup, être près de Shawn dans cette position et cette obscurité lui parut presque aussi indécent que les galipettes labiales auxquelles on s’adonnait à quelques mètres d’eux.
Toni recula et s’assit en tailleur en face du Serpentard.

La terre était moelleuse et l’herbe odorante. Au-dessus d’eux, par la croisée de feuillage, les vitres de la serre donnaient sur un ciel noir très peu éclairé. Le lieu était devenu un antre secret où la nuit dissimulait tous les secrets. Elle voulait avoir un secret. Elle désirait vraiment que Shawn lui en ai trouvé un à entretenir... sa demande était compliquée. Elle était impatiente de savoir. Avait-il trouvé ? Qu’avait-il trouvé ?

Dans le noir, il ne pouvait pas voir ses grands yeux prune de couleur impatiente. Ses doigts étaient pressés contre son pantalon baggy, elle se tenait recourbée vers l’avant pour que le haut de son crâne ne dépasse pas des feuillages où ils auraient pu être visibles pour le couple.

Pour sûr, si Shawn et elle se faisaient surprendre, l’autre couple penserait d’eux qu’ils flirtent au même titre qu’eux. Les ragots iraient bon train pour une bonne semaine, sinon plus selon la réputation du Serpentard. Toni songea qu’elle aurait dû penser à s’informer au sujet de Shawn. Quel type de garçon était-il ?

"Bon, d’abord le deal, ensuite le social" se dit-elle en écoutant sa réponse.

Puisqu’elle opte pour le ras des pâquerettes, il la suit.
Elle est assise et entièrement invisible aux fauteurs de troubles indécents. Le problème c’est que lui est plus grand.
Il se couche donc dans la terre et en profite pour jeter un œil à la vue magnifique qu’offre la toiture ouverte sur le ciel. Les jours de pluie doivent être un beau spectacle. Le ruissellement de chaque goutte sur le toit vitré doit être un délice visuel.


A propos de goutte, celle qui s’écrase à quelque centimètre de sa main provient des cheveux de la lionne.

« Je vois que tu as fais un nouveau détour par le lac. »

Non, il n’est pas sadique.
Il ne la fait pas attendre exprès.
Il n’est juste plus très sur en ce moment.
Certaines affaires tournent plus ou moins mal. Une once de remord s’est pointé l’autre jour. Elle est vite repartie, comme elle est venue. Mais même une once, c’est déjà trop.

Il sort le précieux paquet de sa veste et le contemple un instant en le tenant au-dessus de lui. Ce genre d’objet ne devrait pas exister. Comment alors savoir qui est qui ? L’impression d’être un apprenti-sorcier qui joue avec des allumettes hors de contrôle lui est apparue plusieurs fois dans la semaine.
Là aussi, elle a disparu aussitôt, soupçon noyé dans bien d’autres préoccupations plus intéressantes et version jupes.
Pourtant, un soupçon, c’est déjà trop.

« Si jamais un prof se ramène, accroche-toi à moi. Au pire on prendra comme les deux autres. »

Le ton est léger, ironique, parfaite balance des entremêlées de son esprit.
Qu’est-ce qu’une Gryffondor va faire avec un tel truc ?

Si son père réalise qu’il a disparu, il est cuit. Pourquoi risquer tant pour une fille qu’il connaît à peine ?

Il affiche un petit sourire en coin, réponse à ses propres interrogations. Le besoin inné d’être capable de le faire ? Se sentir au-dessus des règles ?

Il s’en fiche. Peut importe. Il a ce qu’elle veut, elle paiera en contrepartie et ça suffit. L’utilisation qu’elle en fera ne regarde qu’elle et sa propre conscience. Il n’en a pas pour lui, il ne va tout de même pas se mettre à en avoir pour les autres.

« J’ai ce que tu voulais. »

Il se redresse sur le coude et défait le petit paquet de kraft qu’il a pris soin de bien scotcher cette fois.

Le métal qui entoure la pierre est finement travaillé. Rien ne le différencie au premier coup d’œil du plus simple des bracelets si ce n’est la pierre.
En y regardant de plus près, elle semble agitée par les mouvements d’une étrange substance, mi-gaz, mi-liquide.

« C’est un….une…. »

Bouse c’est un quoi déjà ?

« Bref, ça marche bien. Il garde en mémoire l’apparence de la dernière personne à l’avoir porté. Ce qui fait qu’en le portant, tu obtiens un déguisement parfait. Il ne te reste qu’à le retirer pour obtenir l’effet inverse. »

Il lui tend nonchalamment la bestiole, sans détacher ses yeux du ciel obscur. Le découpage des étoiles argenté au milieu des feuillages n’est pas sans rappeler un fameux regard bichromé.

« Par contre, je n’ai pas la moindre idée de qui l’a porté avant. »

A tes risques et périls.

- Ce qui veut dire que... si cet objet a appartenu à un bâtard conçu par un troll et un gobelin, j’aurais l’inestimable honneur de me transformer en une goboll ou une trollin ? Trop bien ta trouvaille , murmura sarcastiquement et incrédule la Gryffondor. Néanmoins, elle saisit le paquet avec précaution et estima l’objet en le faisant passer devant ses yeux pour regarder à travers grâce au peu de lumière que diffusait la lune à travers les carreaux de la serre. La pierre semblait renfermer un liquide spongieux qui avait sa vie propre. Les mouvements aqueux étaient hypnotisant.

Elle posa l’objet devant elle comme s’il s’agissait d’un objet divin. Ca n’en était pas loin malgré la menace qu’il représentait de se retrouver avec l’apparence d’un monstre, d’une vieille harpie, d’un sorcier triplement quinquagénaire (serait-elle toujours aussi mimi avec une barbe blanche ?), ou une grosse dinde du ministère.

Toni regardait l’objet posé devant elle sur son sachet. Elle releva le visage vers Shawn et parut soudain sérieuse :

- Tu ne me demandes pas pourquoi ?

Un temps inlassable les sépara. Elle aurait aimé qu’il réponde "pourquoi" pour avoir l’opportunité de lui dire "je ne peux pas te répondre." Un caprice, une coquetterie à laquelle elle n’aurait obéit que le temps de revenir sur son affirmation "Bon, je te le dis mais garde-le bien pour toi."
Elle appréciait son silence de la même façon. Ainsi le traduisait-elle comme elle le souhaitait et pouvait-elle décider de se livrer enfin ou non. Il méritait la confidence car, si la trouvaille n’était pas à ce point ce qu’elle espérait, elle devait admettre qu’il y avait du génie dans cet objet. Avec intelligence, elle pouvait changer ses plans et en faire quelque chose.

D’elle-même, elle finit par se reprendre et ajouter :

- Non... tu ne demanderas pas

Elle regroupa ses membres entre eux, entrecroisant les jambes et les bras pour ne ressembler plus qu’à un paquet humain, le menton posé sur les genoux. Ses yeux se perdirent dans de lointaines pensées pendant qu’elle expliquait en murmurant :

- Je n’aime plus qui je suis. Je voulais changer d’apparence pour changer de vie. Cette vie-ci m’ennuie. Je ne trouve personne qui me donne envie de continuer à être ce que je suis. Je ne me reconnais dans personne... bizarrement, j’aime bien ma solitude. Ce n’est pas dramatique, tu sais. Je n’en suis pas triste. Il m’est venu l’idée, en lisant un grimoire sur les métamorphoses à la bibliothèque, que je pouvais peut-être devenir une autre de temps en temps... pour accomplir "certaines" choses... mais je ne t’en dirai pas plus.

Un horrible son se fit alors entendre dans la serre. Le bruit n’était pas horrible par sa stridence ou sa hauteur mais par sa raison d’être. Toni rougit instantanément - appréciant malgré tout la situation que ce son advienne à un moment qu’elle ne voulait pas voir glisser vers un mélo stupide - et elle se tourna vers Shawn les yeux écarquillés. Le couple...

- Oh non , marmonna-t-elle. Ils... ils font...

Survinrent alors les à-coups réguliers d’une paillasse qui tape contre un mur.

- Oh, les brutes...

La Gryffondor se mit à rire, s’arrêtant immédiatement quand elle entendit un "ohoo ouiiii" plus explicite que les "han-hannn."

- Shawn, tire nous de là... je ne veux pas rester jusqu’au bout, riait-elle sourdement, je suis bien trop jeune pour entendre la suite.

Et c’était bien le cas de le dire. La jeune fille commençait à décerner à son amant tout un tas de gentils adjectifs et d’adjonctions conjuguées à l’impératif qu’on aurait jamais eu envie d’entendre, même au cinéXmagic. Si Toni apprenait l'identité du garçon, elle pourrait néanmoins en faire l'éloge auprès des filles de l'école.