Songes d'été

« Un soleil radieux s'était levé...
Non, ça ne va pas...
Le printemps dans les branches...
Non, non et non...
Le vent...
Mais pourquoi toujours parler du temps ? »

La voix se tut. L'esprit s'évada au loin, déployant toute sa volonté pour trouver enfin la formulation.

La jeune fille qui approchait, aussi grande qu'on pouvait l'être à son âge, avait pour une fois laissé ses longs cheveux sombres totalement libres. La tête ailleurs, elle avançait sans vraiment se soucier d'où elle allait, profitant simplement de l'air frais du parc. Elle n'avait besoin que de cela, et du paysage apaisant, pour aiguiser son inspiration.

Mais aujourd'hui, elle se sentait d'humeur à critiquer tout ce qu'elle produisait. Preuve en était les nombreuses lignes barrées - voire raturées - qui ornaient la page de son carnet. Elle poussa un soupi de découragement et regarda enfin plus précisément autour d'elle. Elle se sentait un peu seule...

Elle avisa très vite une jeune fille agenouillée dans l'herbe. Mélina Shine, si elle se souvenait bien. Même année, même maison. Déjà près de cinq ans passées sur les mêmes bancs aux mêmes heures, et elle n'avait pas souvenir de lui avoir déjà parlé. C'était l'occasion.

Loevi sourit et s'approcha en faisant le moins de bruit possible. Elle voulait peut-être discuter, mais pas en gâchant la parfaite harmonie de l'instant.

« Bonjour,» lança-t-elle de sa voix douce, sans hausser le ton. « Je peux m'asseoir ici ? »

Son regard fut alors attiré par le petit carnet cuivré posé à côté de Mélina et elle oublia aussitôt sa question. Elle jeta un coup d'œil à son propre carnet et son sourire s'agrandit.

« Oh ! Tu écris, toi aussi ? » demanda-t-elle, ravie. « Je croyais presque être la seule, j'avais fini par me dire qu'ils ne pensaient tous qu'à leurs études... »

Courte réfléxion... et le visage de Loevi vira au rouge pivoine.

« Désolée, peut-être que je te dérange... » marmonna-t-elle, gênée.

HJ : Pas grave, moi aussi j'ai du mal en ce moment ^^


La main de Mélina se tendit devant elle. Quelque part, Loevi se sentit soulagée. La jeune fille signifiait par ce geste qu'elle acceptait sa présence. Bien, très bien. Large sourire également en serrant la main tendue de sa camarade.

Camarade qui ouvrit son carnet et y nota quelques mots avant de le lui tendre. Loevi marqua un léger temps de surprise. "J'écris quelques poèmes." Pas un mot ne fut prononcé par la jeune fille. Le regard de Loevi dériva un peu plus haut, où d'autres petites phrases étaient notées de la même écriture. Il y avait de tout. Mais surtout, il y avait comme un silence perpétuel.

Loevi se sentit mal. Elle avait entendu parler de cette jeune fille qui ne parlait pas... Elle avait entendu beaucoup de choses à son sujet. Les ragots habituels. Ceux qui l'appréciaient, et ceux qui la méprisaient. Y en avait-il ? Elle ne savait plus. Elle se fichait bien des bruits qui courent, ils n'ont souvent qu'un fond de vérité si ténu qu'il en devient parfois inexistant. Elle préférait voir les faits d'elle-même que de croire les mots jetés dans l'air.

Mais Mélina ne risquait pas d'en jeter, dans l'air ou dans l'eau du lac, plus loin. Car la preuve venait d'en être faite : Mélina ne parlait pas.

Se rendant compte qu'elle devait ressembler à un poisson hors de l'eau, dans le pire des cas, Loevi tâcha de se reprendre. Peut-être la discussion paraîssait-elle difficile au premier abord, mais la Poufsouffle n'était pas n'importe qui, elle s'y ferait très vite. Ce n'était pas ce genre de difficulté qui allait abattre le moral de Loevi Leroy, foi d'elle !

Son sourire revint orner se lèvres et elle s'assit sur le sol.

-Des poèmes ? Vraiment ? fit-elle avec un entrain qui n'avait rien de superficiel. Moi aussi j'en écris. Et comme je le disais plus ou moins, parfois au lieu de réviser...

Ce qui ne l'empêchait pas de faire des heures supplémentaires pour ensuite rattraper un retard imaginaire.

-Enfin, aujourd'hui rien ne vient. Je ferais sans doute mieux de travailler au lieu de flâner, mais que veux-tu... Et toi, tu y arrives ?

Elle n'avait pas l'intention de se laisser brider par le silence de Mélina, mais n'avait pas non plus envie de l'abreuver de paroles en parlant pour deux, ni de la forcer à trop gribouiller de phrases futiles dans son carnet. Ce n'était pas simple de trouver le juste milieu.