La méthode pour effacer les mauvaises nuits

Petit matin pale où carillonne l'horloge de la salle commune. Je me lève d'une humeur maussade mais la tristesse s'en va dans le siphon de la douche. Cheveux humides et en bataille, je traverse la salle commune sans dire bonjour à personne. Je saisis mon sac qui traînait près du canapé en cuir verdâtre depuis la veille puis affronte tortueux les couloirs jusqu'à la Grande salle.

*Aujourd'hui, c'est décidé: je sèche.*

J'ai fait un rêve où Mai-Lan me parlait. Rien ne m'amuse quand je sors de ces rêves. Je me sens handicapé du sourire. Je n'en ai plus à donner.

Sur le chemin deux jeune Poufsouffle gloussent en me regardant passer. Je n'ai qu'un regard noir à leur retourner. Je ne saurai jamais ce qui les a fait sourire chez moi.

J'atteins le perron et je prends l'air à plein poumon comme si cela faisait des jours que je n'avais pas respiré.

- Que faire quand on sèche? Me dis-je à haute voix.

Contre toute attente, une voix me répond. Je fais volte-face, sourcils froncés comme pour me défendre par avance de l'aveu que je viens de délivrer sans prendre garde.

Petit matin gris où Kâli boude à sortir du lit. A croire qu’elle ne s’était pas coucher encore suffisamment tôt. Ce soir, elle viserait dix-neuf heures. Si elle comptait bien, et elle comptait bien, elle aurait ainsi treize heures de sommeil bien à elle.
Dans treize heure de sommeil, elle finirait bien par le trouver son compte.


Ce matin là, elle prit donc dix-sept minutes à se décider de sortir du lit. Et dix-sept autres à en sortir. Du coup, elle passa extrêmement rapidement sur le point « toilette du matin » et se rendit aussi vite dans la grande salle.


Là-bas, les tables des Serpentard et des Serdaigle étaient toutes deux étonnamment bruyantes et agitées. Des boulettes de lettres volaient et les élèves étaient particulièrement dissipés. L’approche du bal se faisait sentir…
Kâli, elle, n’était pourtant pas d’humeur à chahuter ou écouter bavasser les autres élèves et c’est en traînant des pieds qu’elle alla s’asseoir au beau milieu d’un banc. Faute de place ailleurs.
Elle regarda les visages voisins l’espace de quelques secondes dans l’espoir d’en apercevoir un qui lui serait familier mais rien. Nada. .

Alors elle se répétait : De toute façon, j’m’en fou moi.

Puis, avec sa p’tite prétention à deux noises, elle baissait la tête sur son bol de café –elle détestait ça le café- et mangeait silencieusement.


Quelques élèves tentaient bien parfois d’ouvrir la conversation où de l’inviter à se joindre à la leur, de doucement l’inclure au groupe et ce par maintes tentatives : « Tu veux du jus de citrouille Kâli ? », « Et toi Kâli, qu’est-ce que t’en penses ? » où encore « T’as pas faim Kâli ? » mais la question qu’elle exécrait le plus, encore et toujours, c’était…

- T’es toute seule Kâli ?
- Finement remarqué dis donc…
- Tu ‘veux pas venir avec nous ?
- Non, j’crois pas là tu vois.
- T’es sûre ?
- Et toi, t’es sourd ou bouché ?
- Bon, bon…

Elle trouvait que c’était des hypocrites parfaits ceux-là. Ils venaient de temps en temps en temps renifler autour d’elle, mimer de l’inquiétude ou prétendre de la sympathie. Tu parles.
Ils viennent surtout s’assurer pour leur petit confort social que d’autres sont plus seuls, plus exclus encore. Bref, en deux mots, pire qu’eux.
Et ils étaient satisfaits après. Ils se sentaient forts. Ils donnaient un coup dans la piñata, ramassaient leurs poignets de bonbons et repartaient sans même un regard, sans même une pensée pour ce qu’ils venaient de briser.
Alors elle, peut-être bien qu’elle s'écartait, peut-être bien qu’elle était seule mais au moins, il lui restait sa fierté. Elle avait pas besoin d’en frapper d’autres pour savoir ce qu’elle valait. Elle valait mieux que eux tous réunies, n’était pas sans l’ignorer et n’avait pas besoin de plus.

Et c’était là toute l’histoire de la vilaine petite Kâli.


Suffisamment agacée pour la journée et préférant ne pas éclater de fureur de si bon matin, elle préféra finir son petit-déjeuner à l’extérieur. S’accaparant du dernier croisant, elle se leva de table et s’éloigna. Direction le parc.

Elle poussa la grande porte tant bien que mal et surprit alors une pour le moins drôle d’interrogation : « Que faire quand on sèche ? ».

Elle sourit.
D’un sourire un peu moqueur.
Et pensa.
Des pensées un peu simplettes : Toi mon gars, j’tai…

- Gaulé !

Kâli Dell’Atti n’était certainement pas aussi bête qu’elle semblait en avoir l’air. Elle savait très bien qu’Adel mentait et qui plus est, préparait un mauvais coup.
Les mauvais coups, elle les reconnaissait entre mille. Après tout, c’était une habituée.

C’était.


« Ton croissant et toi me suivraient dans une matinée volée ? »

Et voilà… Qu’est-ce qu’elle disait ? Pas besoin d’attendre bien longtemps avant que le coupable n’avoue les faits.

Mais voilà, ce serait non. Non pas pour l’éthique. Elle s’en foutait royalement de ça. L’afficher bien auprès des profs ? Pour ce que ça lui servirait…
Non parce que, justement, elle ne tirerait aucun profits à changer ses habitudes.
Et elle n’allait pas lui faire cette fleur. C’était jamais gratuit les fleurs dans chez elle…

Besoin d’un service ? Donne-moi du concret.
Ici on ‘roule pas droit, on roule à ma façon.

Alors, elle ne changerait pas ses habitudes.
Ce serait non.
A moins que…

A moins qu’à la clef d’une matinée volée, se trouve un butin intéressant.

Dans ce cas…


Elle ressurgit de ses pensées, bien décidée, avec un air de conquistador –un air qui signifiait : Rien ni personne ne peut m’arrêter- et répondit sur un ton assuré :

- Pour un butin intéressant.

Elle mordit dans son croissant pour toute conclusion.



Dans ce cas, c’était d’accord.

Doué de très peu d'intérêt pour les défis, je reste cependant poli et courtois devant cette négociation qui me parrait quelque peu enfantine. Le visage aussi vierge que la neige abattue en tas disparatres dans le parc, je la regarde un moment avant de mettre mes mains dans mes poches pour en retrourner le tissu et les lui montrer vide:

- Ce n'est pas de la mauvaise volonté, Kâli, mais je n'ai rien à te donner. Ce n'était qu'une invitation, finis-je en lui souriant avec politesse.

Je me retourne et poursuis la descente des marches sans la fille et son croissant. Après tout, je ne veux qu'une promenade. Qu'un autre Serpentard me fasse un chantage pour une coin de tranquillité n'entre pas en ligne de mire de ce que je pensais d'une école buissonnière matinale.

Une bourrasque plus forte souffle. Je me protège de mon manteau en rabattant l'encôlure autour de mon cou. Je lui envoie un dernier sourire avant de m'éloigner:

- Peut-être à plus tard dans ce cas ; je reviendrai sans doute en cours quand me seront passées mes envies de liberté.

La tête déjà ailleurs, je ne professe aucun jugement sur la jeune Serpentard. Elle n'est pas en cause. Beaucoup de mes camarades de maison sont déformés par l'appât du gain et le donnant donnant ; il se trouve que rien ne m'attache. Si j'avais eu 10 sacs de gallions je les lui aurais donné avec plaisir avant de m'en aller. Seul, cependant.

 « Ce n'était qu'une invitation »

Et elle, là, cette grande faraude, cette infatuée, cette petite fat du centre avec sa suffisance, son dédain et son excessive arrogance, oui, elle, là, ne put s’empêcher de se sentir fichtrement à l’étroit, furieusement comprimée et férocement gênée face à un misérable cinquième année.

Elle se serait certainement retirée, plus vaniteuse que jamais, sans demander le moindre dû si seulement Adel par son foutu savoir-vivre ne l’avait pas atteinte elle et sa fichu fierté.
Elle venait de tomber de son piédestal et se sentait particulièrement déplorable, entre la bécasse et le troll des montagnes. Elle avait pourtant fait attention… De ne pas tomber.
Alors non, elle ne s’en retournerait pas. Pas tant qu’elle n’aurait réaffirmer un peu de son aplomb auprès du Serpentard.



DANS LA SERIE MINI-BLAGUES
Qu’est-ce qui est noir avec un point jaune et qui vole ?
Une mouche avec une dent en or. 



Elle resta ainsi figé, l’air bêta, ne sachant quoi faire ni dire durant les quelques secondes qui firent s’éloigner ce Adel.
Soudain, elle s’échappa de ce blocage puissance dix, dans l’idée de décharger tout l’embarras qui l’accablait, de râler, de pester et de vociférer autant qu’elle le pourrait. Elle n’avait rien trouvé de mieux : fulminer pour se préserver.

Du haut des marches, elle l’interpella.

Chose qu’elle affectionnait tout particulièrement faire pour se faire des amis ; interpeller les gens et pester. Hors là, la chose devint carrément abracadabrantesque. Oui, qui aurait pensé qu’une de ces choses dorés à plume voudrait un jour voler le succulent croissant lui-même préalablement dérobé le matin même à la cantine poudlardienne. La chose dotée d’une vitesse incroyable vint frapper latéralement la jeune boiteuse si bien qu’elle trébucha dans les escaliers. La chute fût difficile.
Pas encore chaos, oh, non, il lui en fallait bien plus pour cela. Mais sacrément sonné ; Kâli ouvrit les yeux, lâcha un :

- Aie !


Entre la douleur et l’étonnement puis s’assit correctement sur les marches ramenant sa jambe branlante dans une position plus confortable.

Elle avait mal là.

Dans sa dégringolade, elle avait lâché son croissant. Il était resté sur le palier de pierre et cet « idiot de volatile » s’était jeté dessus, affamé.
Kâli adressa un regard en biais à l’oiseau qui ne lui accordait déjà plus la moindre importance. Elle était indubitablement tombé de très haut…

Elle enfouit son visage dans ses bras et laissa tout tomber, au point où elle en était.

Dans l'optique de préparer cette matinée oisive et les excuses que j'aurais à fournir si la Serpentard me dénonçait, étrangement, je commence à me détendre. Je fouille dans ma poche et en sort un petit pain fourré au beurre/confiture groseilles et myrtilles, entouré dans une serviette en papier. Le tout a été dérobé un peu plus tôt, lors de mon furtif passage à la Grande Salle.

A peine trois pas plus loin, un "aïe" plaintif me stoppe. Je me tourne et observe la scène: Kâli est assise sur une marche, le croissant n'est plus dans sa bouche, un oiseau en fait son petit déjeuner. Elle replace sa jambe plus droite et reste assise. Blessée?

Je reviens sur mes pas sans courir. Je m'agenouille devant elle et c'est moins sa jambe que son visage que je regarde. Je l'interroge des yeux pour qu'elle me confie sa douleur ou qu'elle me rassure, me dise que "ça va, ça va... plus de peur que de mal".

Sans expliquer, justifier, raconter ou en faire tout un plat puisque ce n'est qu'un bout de pain, je lui tends mon petit déjeuner pour me libérer les mains.

- Un croissant de perdu, un petit pain de retrouvé. Tu veux qu'on le transforme en théière? Juste comme ça, pour accompagner le petit pain, je lui souris en désignant le volatile, sans même savoir si je saurais opérer une telle métamorphose.

En tout cas, mon soucis n'est pas de m'apesentir sur la chute de Kâli. Enfant, lorsque je tombais, je me souviens que la première chose que ma mère disait, au lieu de me demander si ça allait, était: "Adel, si c'est mieux par terre, c'est ton choix mais pour grandir, il faut rester debout". Sa voix était amusée et douce. Pas de drame. Puis, elle me prenait dans ses bras et m'aidait à me relever. Sa remarque détournait mon intention et j'en oubliais de pleurer.

Bien sûr, Kâli ne pleurera pas.
Au pire, peut-être qu'en ce moment elle a plus mal à l'ego qu'à la jambe. Cependant, certains bobos restent les mêmes: ils ne se soignent pas dans les larmes mais grâce au pansement qu'on colle d'une affection.

- On rétablit doucement la verticale ou on reste assis? Je lui demande en souriant.

La jeune fille releva la tête, comme ça, l’air hagard, fixa Adel, sans l’écouter et, pour toutes réponses, secoua la tête de haut en bas. A peine et tout doucement. Minuscule regret triste et méprisable. Minuscule allégeance.
La première depuis bien longtemps, dans les environs de 9 ans…

Elle acquiesçait mais ne savait pas à quoi, trop étourdie.
Ainsi, tenue dans son black-out, un silence s’installa. Un de ces silences embarrassants dont on ne se sait jamais se débarrasser. Le principe même de l’embarras, me direz-vous, et de ses tentatives désespérées de nous en acquitter. Exactement et c’est sur ces entrefaites qu’elle ouvrit la bouche puis se ravisa, essaya encore mais n’y parvînt pas. Elle ne savait plus quoi dire, alors, elle sourit.

Un sourire sans excentricité, simplement.

C’était son arme fatale, sa botte secrète, son petit truc en plumes. Sourire à un interlocuteur qui vous embarrasse, on n’a pas encore trouvé mieux pour passer à autre chose.
Aussi, elle passa à autre chose. Elle se leva, vacilla, se reprit. Repris ? Parfaitement. Et avança, avança du mieux qu’elle pu et s’arrêta à l’exact endroit où se tenait Adel quelques minutes plus tôt.

Bien. Et maintenant ?
Et maintenant ouvre-la imbécile !

Elle souffla alors, évacua et seulement après, se retourna pour demander :

- On va-t-on ?


C’était osé, elle trouvait.
Et curieux qu’elle trouva cela.